mercredi 24 juillet 2013

La vagabonde (extrait 1 )



   Aux yeux d’Audrey, chaque minute passée chez ses amis était riche de mille joies. Elle allait de promener sur la plage, s’amusait avec les enfants, flemmardait au soleil en compagnie de Violet et surtout échangeait des confidences avec elles. Elle avait l’impression d’avoir trouvé en Violet cette fameuse sœur ainée manquée pendant sa jeunesse alors qu’elle était sans cesse obligée de prendre des décisions sans pouvoir demander conseil à qui que ce soit. La présence de Violet la sécurisait et elle n’avait plus de secret pour elle. Quant à James, c’était un gentlemen  jusqu’au bout des ongles et Audrey appréciait la camaraderie fraternelle qui s’était vite instauré entre eux.
-          Que vas-tu faire lorsque tu rentreras à San Francisco ? lui demanda Violet un jour où elle se trouvait toutes les deux seules sur la plage.
   Elle avait bien du mal à imaginer qu’Audrey puisse mener à nouveau la vie qui était sienne avant son départ des états- unis et aurait aimé qu’elle accepte de venir vivre à Londres avec eux comme elle le lui avait déjà proposé à plusieurs reprises.
-          La même chose qu’avant, j’imagine… répondit celle-ci. M’occuper de la maison de mon grand-père et donner un coup de main à Annabelle.
   Mais sa voix manquait de conviction. […]
   James venait les rejoindre sur la plage. Mais il n’était pas seul. Un homme de haute taille, aussi brun que lui, l’accompagnait et ils semblaient tous deux très absorbés par leur discussion.
-          Il s’agit de l’écrivain et explorateur Charles Parker-Scott, expliqua Violet. Son nom ne doit pas t’être inconnu car la plupart de ses livres ont été publiés aux Etats-Unis… Sa mère était américaine d’ailleurs.
   Charles Parker-Scott… En effet, Audrey se souvenait d’avoir lu deux de ses récits de voyage lorsqu’elle vivait encore à San Francisco. Mais comment un homme qui, à en croire ses livres, avait voyagé autant et aussi loin, pouvait être aussi jeune ?
   Elle allait poser la question à Violet quand celle-ci bondissant sous ses pieds , se précipita dans les bras du nouveau venu.
-          Au cas où tu l’aurais oublié, je te rappelle que tu es mariée, Vi ! fit remarquer James en riant.
-          Fiche-moi la paix, James ! Avec Charles, je ne risque rien ; ce n’est pas un homme comme les autres…
-          Pas comme les autres ! répéta l’intéressé, en prenant un air faussement courroucé. Que veux –tu dire par là ?
   Il s’était reculé si brusquement que Violet, perdant l’équilibre, alla s’affaler dans le sable à ses pieds.
-          Tout simplement que pour moi tu fais partie de la famille, répondit Violet avec son aplomb habituel.
   Cette réponse parut le satisfaire et il s’installa sur le sable à coté d’elle pour lui demander :
-          Quelles sont les dernières nouvelles, Lady Vi ?
-          Il fait un temps merveilleux et les Murphy se sont surpassés lors de leur dernier bal masqué, répondit Violet. J’ose donc espérer que tu vas rester un peu plus de vingt-quatre heures chez nous…
-          Je suis pratiquement libre jusqu’à la fin de la semaine.
   «  Il parle anglais avec un accent américain », se dit Audrey qui observait le nouveau venu. De plus Charles Parker-Scott n’avait pas du tout le type anglo-saxon : brun, le teint mat, mince au point de paraître presque maigre, il aurait très bien pu passer pour un Espagnol ou un Italien… «  On dirait un prince italien, songea Audrey, frappée par la finesse aristocratique de ses amis. Ou quelques Condottiere… » Question carrure, Charles n’avait en effet rien à envier à James.
-           Si ma chère épouse en a terminé avec toi, intervint James, je vais peut-être pouvoir te présenter notre amie Audrey Driscoll qui vient de Californie.
   Charles se leva aussitôt pour serrer la main d’Audrey et il lui adressa un sourire éblouissant auquel bien peu de femme devaient pouvoir résister. C’est en tout cas ce que se dit Audrey.
-          Non seulement Charlie est beau comme un dieu, mais il ne s’en rend pas compte, lui expliqua Violet  un peu plus tard.
   Habillées toutes les deux de robes en soie blanche qui mettait en valeur leur bronzage, elles étaient installées sur la terrasse de la maison et buvaient du champagne en attendant le retour de James et de Charles qui étaient partis se promener sur la plage.
-          Une fois, je lui ai parlé de son charme ravageur, continua Violet, et je me suis aperçue que cela le laissait complètement froid. Etonnant, non ? Je jurerais que la plupart des femmes qu’il rencontre sont prêtes à lui tomber dans les bras mais il ne les voit pas… Il ne pense qu’à ses livres, ma pauvre Audrey !
   Cet aspect de la personnalité de Charles plaisait tout particulièrement à Audrey. Un peu plus tôt dans l’après-midi, elle avait eu l’occasion de discuter avec lui de ses livres et elle lui avait avoué que l’un de ses auteurs préférés était Nicole Smith. Charles avait été ravi car lui aussi adorait les récits de voyage de cet écrivain.
                    
               Danielle STEEL : La vagabonde



mardi 16 juillet 2013

Il était une fois l’amour (Chapitre V, extrait 1)



   En entrant dans la chambre, accompagnée de Liz, Barbara vit les yeux de Daphné s’ouvrir et se refermer presque aussitôt. Effrayée, elle se tourna vers l’infirmière. Mais Liz, lorsqu’elle eut pris le pouls de Daphné, rassura Barbara d’un sourire.
-          Elle est en train de se réveiller.
   Au même moment, Daphné rouvrit les yeux et enta de fixer Barbara. […]
   Durant les premières années qu’elle avait  travaillé pour elle, Daphné ne lui avait absolument pas parlé de son fils. C’était une romancière à succès, apparemment célibataire, très travailleuse, sans vie personnelle, ce qui n’était pas surprenant lorsqu’on savait qu’elle publiait deux romans par an, et y consacrait tout son temps. Mais, un soir de Noël, Barbara, qui avait travaillé tard, trouva Daphné en sanglots. Ce jour-là, elle lui parla de Jeff, d’Aimée et d’Andrew, l’enfant conçu la nuit de l’incendie, qui était né neuf mois plus tard, alors qu’elle ‘était seule, sans famille, sans mari, sans tous ses amis, qui lui rappelaient trop Jeff. Elle se souvient de la naissance d’Aimée : Jeff lui tenait la main et des larmes de joie avaient salué l’arrivée de l’enfant attendu. L’accouchement d’Andrew, en revanche, avait duré trente-huit heures. Le bébé avait le cordon ombilical autour du cou, et manquait à chaque instant de s’étouffer.
   On les avait sauvés tous deux de justesse. […]
   C’était un bel enfant, heureux de vivre et plein de santé. Il avait les yeux bleus de sa mère mais ressemblait toujours autant à son père. Sur tous les murs de la chambre d’Andrew, elle accrocha des photos de Jeff. Elle voulait qu’il sût quel homme était son père. Ce n’est que trois plus tard qu’Andrew se mit à l’inquiéter, malgré son caractère joyeux et sa bonne constitution. Un jour qu’il se trouvait dans son berceau, dans la cuisine, elle renversa par mégarde une pile d’assiettes. Il ne sursauta même pas. Lorsqu’elle tapait dans ses mains, il se contentait de sourire.
   Un sentiment de terreur envahit Daphné. Elle ne put se résoudre à appeler le médecin, mais quand elle alla le consulter, quelque temps après, il lui révéla ce qu’elle soupçonnait déjà. Ses craintes étaient fondées : Andrew était sourd de naissance. Il poussait d’étranges petits cris, mais il était encore trop tôt pour savoir s’il était muet. Cela pouvait être dû aussi bien aux conditions de l’accouchement qu’aux médicaments qu’elle avait pris après l’incendie : Elle était restée sous traitement à l’hôpital durant un mois, et personne ne la savait enceinte. Mais, qu’elle qu’en fût la raison, Andrew était sourd à jamais.
   Daphné lui voua alors un amour violent et passionné. Elle ne le quittait plus et se levait tous les jours à 5h30 pour être auprès de lui à son réveil et l’aider en toute chose. […] Elle ne voyait presque personne et ne sortait plus. Elle vouait à Andrew chaque instant de sa vie, effrayée de le laisser avec quelqu’un d’autre qui ne saurait comprendre, aussi bien qu’elle, les dangers qu’ils devaient affronter.  Elle prenait donc tout en charge et, chaque nuit, se couchait épuisée, vidée par les efforts qu’elle avait dû faire. […]
   Les spécialistes qu’elle avait consultés lui avaient suggéré de mettre Andrew dans une école spécialisée.
-          Une école ?
   Elle était furieuse de ce que venait de lui dire une fois de plus le spécialiste.
-          Jamais,  vous  m’entendez, jamais !
-          Ce que vous faites est bien pire…
   La voix du médecin était douce.
-          Ce ne sera qu’une étape, Daphné. Mais il faut voir la situation en face. Andrew a besoin d’une éducation à son cas. Et vous ne pouvez la lui donner.
-          Et bien j’apprendrai !
   Faute de s’en prendre à la surdité d’Andrew, à la fatalité, à la vie qui ne l’avait pas épargnée, elle se révoltait contre l’avis du médecin.
-          Oui, j’apprendrai, et je resterai à ses côtés, nuits et jours !
   C’est pourtant ce qu’elle avait fait jusque là, et sans résultat, puisque Andrew vivait hors du monde. […]
   Un jour qu’Andrew était assis dans le bac de sable, tout seul, elle le surprit à regarder les autres enfants en pleurant. Il se tourna vers sa mère comme pour lui demander
-          Mais qu’est-ce-que j’ai ?
   Elle s’était précipitée, l’avait pris dans ses bras et l’avait bercé, se sentant aussi seule et apeurée que lui. Elle comprit alors qu’elle n’avait pas su l’aider.
   Un mois plus tard, elle cessa de lutter. La mort dans l’âme, elle entreprit de visiter ces écoles qu’elle avait rejetées si fort, craignant à chaque instant qu’on ne lui arrachât son enfant. Cette idée lui était insupportable, mais elle savait aussi qu’elle finirait par détruire son fils. Elle trouva enfin une école qui lui plut assez pour accepter de se défaire de lui. Elle se trouvait dans une jolie petite ville du New Hampshire. Il y avait des arbres, une marre et une rivière où pêchaient les enfants.

                         Danielle STEEL : Il était une fois l’amour