Takané se faufile parmi les convives, telle une ombre. Personne ne s’adresse
à elle ou ne lui accorde la moindre attention. Elle y est tellement habituée qu’elle
ne s’en offusque pas. Ce qui serait dérangeant, c’est qu’on s’intéresse à elle,
cela signifierait qu’elle a manqué de discrétion.
Un jour, un étranger est venu prendre des photos du campement et on l’a
invité à prendre le thé sous la tente. C’était un jeune français aux yeux
clairs et aux cheveux jaunes. Les filles du maître, qui le trouvaient très
beau, se cachaient derrière les tentures en gloussant.
Quant Takané, en silence, a rempli le verre du photographe, celui-ci l’a
remercié en la regardant dans les yeux. La conversation s’est arrêtée
brusquement et un silence pesant s’est installé sous la tente.
Takané était si gênée qu’elle aurait souhaité disparaître ! Depuis
son enfance, on la considère, au pire comme un meuble, au mieux comme un
animal. Elle a si bien appris à demeurer invisible que le regard furieux de la
maîtresse n’a aucun effet sur elle : celui du touriste l’avait déjà terrorisée.
Des mois plus tard, le maître a reçu un magazine avec les images du
campement. Sa femme a aussitôt invité ses amis à boire le thé, et toutes se sont
esclaffées en découvrant la photo où figurait Takané.
-
Takané, tu es une star !
s’est écriée la maîtresse en montrant la photo à son esclave.
On y voyait, au fond de la tente, derrière
les dames touaregs qui souriaient à l’objectif, une vielles femme noire,
éreintée au regard triste et vide. C’était elle, mais Takané a eu du mal à le
croire. Pourtant, elle se savait usée, mais c’était la première fois qu’on la
photographiait, et cette image, qui était la sienne lui a fait peur.
-
Ces français ont de drôles
de façons de se comporter avec les domestiques ! a commenté la maîtresse
en retirant le magazine de sous ses yeux.
Ses amies sont parties d’un grand éclat de rire.
-
Merci Takané ! a crié
joyeusement l’une d’elle en imitant le beau photographe.
La pauvre Takané a laissé échapper un pauvre sourire, comme pour s’excuser
qu’on ait pu la remarquer.
Dominique TORRES, Tu es
libre !
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