Il chantait aussi l’amour ;
mais son chant était serein, limpide, comme les pensées d’une jeune fille
naïve, comme le sommeil d’un enfant, comme la chaste lune quand elle traverse
en silence le calme désert des cieux. Il chantait aussi l’absence et la
tristesse, et le vague inconnu, et le lointain vaporeux, et les roses
romantiques. Il chantait ces contrées où longtemps, sur le sein de la
placidité, s’étaient épanchées ses larmes vivantes. Il chantait la fleur fanée
de sa vie, n’ayant pas encore vingt ans. [...]
Poussées par les rayons du
printemps, les neiges des collines environnantes sont déjà descendues en
ruisseaux bourbeux sur les prairies inondées. À peine sortant de son sommeil,
la nature salue d’un sourire attendri le matin de l’année. Les cieux, d’un bleu
plus foncé, sont plus rayonnants ; encore transparents, les bois se
couvrent d’un duvet de verdure ; l’abeille quitte sa cellule de cire pour
aller butiner sur les premières fleurs ; les champs se sèchent et se
nuancent ; les troupeaux mugissent joyeusement, et le rossignol a déjà
chanté dans le silence des nuits. [...]
Comme ta venue m’est triste, ô
printemps ; printemps époque de l’amour ! Quelle agitation pleine de
langueur se fait alors dans mon âme, dans mon sang ! Avec quelle émotion
pesante je sens ton souffle me caresser le visage au sein de la tranquille
campagne ! Serait-ce que toute jouissance m’est désormais étrangère ?
que tout ce qui égaye et vivifie, tout ce qui est joie et splendeur, inspire de
l’ennui et de l’abattement à une âme dès longtemps morte et qui ne voit plus
que des couleurs sombres ?
Alexandre Pouchkine: Eugène Onéguine
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire