Le long des larges allées, qui
déploient à travers les pelouses et les massifs leur courbe savante, une foule
de femmes et d’hommes, assis sur des chaises de fer, regardent défiler les
passants tandis que, par les petits chemins enfoncés sous les ombrages et
serpentant comme des ruisseaux, un peuple d’enfants grouille dans le sable,
court, saute à la corde sous l’œil indolent des nourrices ou sous le regard
inquiet des mères. Les arbres énormes, arrondis en dôme comme des monuments de
feuilles, les marronniers géants dont la lourde verdure est éclaboussée de
grappes rouges ou blanches, les sycomores distingués, les platanes décoratifs
avec leur tronc savamment tourmenté, ornent en des perspectives séduisantes les
grands gazons onduleux.
Il fait chaud, les tourterelles roucoulent
dans les feuillages et voisinent de cime en cime, tandis que les moineaux se
baignent dans l’arc-en-ciel dont le soleil enlumine la poussière d’eau des
arrosages égrenée sur l’herbe fine. Sur leurs socles, les statues blanches
semblent heureuses dans cette fraîcheur verte. Un jeune garçon de marbre retire
de son pied une épine introuvable, comme s’il s’était piqué tout à l’heure en
courant après la Diane qui fuit là-bas vers le petit lac emprisonné dans les
bosquets où s’abrite la ruine d’un temple.
D’autres statues s’embrassent, amoureuses et
froides, au bord des massifs, ou bien rêvent, un genou dans la main. Une
cascade écume et roule sur de jolis rochers. Un arbre, tronqué comme une
colonne, porte un lierre ; un tombeau porte une inscription. Les fûts de pierre
dressés sur les gazons ne rappellent guère plus l’Acropole que cet élégant
petit parc ne rappelle les forêts sauvages.
C’est l’endroit artificiel et charmant où les gens de ville vont
contempler des fleurs élevées en des serres, et admirer, comme on admire au
théâtre le spectacle de la vie, cette aimable représentation que donne, en
plein Paris, la belle nature.
Guy de Maupassant, Fort comme la
mort (1889)
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