Il se trouva couché sur une molle
pelouse, au bord d’une source qui jaillissait et semblait se dissiper en l’air.
Des rochers d’un bleu foncé, striés de veines de toutes couleurs,
s’élevaient à quelque distance; la clarté du jour qui l’entourait était plus
limpide et plus douce que la lumière habituelle; le ciel était d’azur sombre,
absolument pur. Mais ce qui l’attira d’un charme irrésistible, c’était, au bord
même de la source, une Fleur svelte, d’un bleu éthéré, qui le frôlait de ses
larges pétales éclatants. Tout autour d’elle, d’innombrables fleurs de toutes
nuances emplissaient l’air de leurs senteurs les plus suaves. Lui, cependant,
ne voyait que la Fleur bleue, et il la contempla longuement avec une indicible
tendresse. Il allait enfin s’en approcher quand elle se mit soudain à
tressaillir et à changer d’aspect; les feuilles devinrent plus brillantes et se
serrèrent contre la tige qui s’allongeait; la fleur s’inclina vers lui et les
pétales formèrent en s’écartant une collerette bleue où flottait un visage
délicat. Son doux émerveillement croissait à mesure que s’accomplissait
l’étrange métamorphose, — quand tout à coup la voix de sa mère l’éveilla : il
se retrouva dans la chambre familiale que doraient déjà les rayons du matin. Il
était trop enchanté pour prendre humeur de ce contretemps ; au contraire, il
dit un aimable bonjour à sa maman et lui rendit son embrassement affectueux.
Novalis, Henri d’Ofterdingen
Novalis, de son vrai nom Georg Philipp Friedrich,
poète, romancier et philosophe allemand
Le roman Henri
d’Ofterdingen fut traduit de la langue allemande à la langue française en plusieurs versions.
2ème version du même texte
Il se trouvait sur
un moelleux gazon, tout au bord d'une source qui sortait en plein air, et où
ses eaux, apparemment, s'évanouissaient. Des roches d'un bleu sombre striées de
veines multicolores se dressaient à une certaine distance : mais la lumière du
jour était plus limpide et plus douce autour de lui que d'ordinaire, et le
ciel, d'un azur presque noir, était parfaitement pur. Ce qui, pourtant, le
fascinait avec la force irrésistible d'un charme tout-puissant, c'était, et
ici-même, tout auprès de la source, une fleur élancée et d'un bleu lumineux qui
l'effleurait de ses larges feuilles resplendissantes. Des fleurs sans nombre et
de toutes les couleurs se pressaient autour d'elle, embaumant l'air du plus
exquis parfum. Il ne voyait cependant que la seule fleur bleue, et longuement,
avec une tendresse qu'on ne saurait dire, il attacha ses regards sur elle. A la
fin, comme il voulait s'approcher d'elle, il la vit tout soudain qui bougeait
et commençait à se transformer ; les feuilles se faisaient de plus en plus
brillantes et venaient se coller contre la tige, qui elle-même grandissait ; la
Fleur alors se pencha vers lui, et ses pétales épanouis se déployèrent en une
large collerette bleue qui s'ouvrait délicatement sur les traits exquis d'un
doux visage. Dans un étonnement émerveillé et délicieux qui ne cessait de
croître, il suivait la métamorphose singulière, quand, brusquement, il fut
réveillé par la voix de sa mère et se retrouva là, sous le toit paternel, dans
la chambre commune où le soleil matinal, déjà, mettait son or.
Novalis, Henri d’Ofterdingen
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