Quand le soir approchait je
descendais des cimes de l’île et j’allais volontiers m’asseoir au bord du lac
sur la grève dans quelque asile caché ; là le bruit des vagues et
l’agitation de l’eau fixant mes sens et chassant de mon âme toute autre
agitation la plongeaient dans une rêverie délicieuse où la nuit me surprenait
souvent sans que je m’en fusse aperçu. Le flux et reflux de cette eau, son bruit
continu mais renflé par intervalles frappant sans relâche mon oreille et mes
yeux, suppléaient aux mouvements internes que la rêverie éteignait en moi et
suffisaient pour me faire sentir avec plaisir mon existence sans prendre la
peine de penser. De temps à autre naissait quelque faible et courte réflexion
sur l’instabilité des choses de ce monde dont la surface des eaux m’offrait
l’image : mais bientôt ces impressions légères s’effaçaient dans
l’uniformité du mouvement continu qui me berçait, et qui sans aucun concours
actif de mon âme ne laissait pas de m’attacher au point qu’appelé par l’heure
et par le signal convenu je ne pouvais m’arracher de là sans effort.
Jean Jacques Rousseau
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