Il faisait extrêmement chaud
dehors ; après le déjeuner Sanine voulut se retirer, mais ses hôtes
lui dirent que par une pareille chaleur il valait beaucoup mieux ne pas bouger
de sa place ; et il resta.
Dans l’arrière-salon où il se tenait avec la famille Roselli, régnait
une agréable fraîcheur: les fenêtres ouvraient sur un petit jardin planté
d’acacias. Des essaims d’abeilles, des taons et des bourdons chantaient en
chœur avec ivresse dans les branches touffues des arbres parsemées de fleurs
d’or ; à travers les volets à demi clos et les stores baissés, ce
bourdonnement incessant pénétrait dans la chambre donnant l’impression de la
chaleur répandue dans l’air au dehors, et la fraîcheur de la chambre fermée et
confortable paraissait d’autant plus agréable… […]
Bientôt Sanine resta
immobile à son tour, comme hypnotisé, admirant de toutes les forces de son âme
le tableau que formaient cette chambre à demi-obscure où par-ci par-là
rougissaient en points éclatants des roses fraîches et somptueuses qui
trempaient dans des coupes antiques de couleur verte, et cette femme endormie
avec les mains chastement repliées, son bon visage encadré par la blancheur
neigeuse de l’oreiller et enfin ce jeune être tout entier à sa sollicitude,
aussi bon, aussi pur et d’une beauté inénarrable avec des yeux noirs, profonds,
remplis d’ombre, et quand même lumineux…
Sanine se demandait
où il était. Était-ce un rêve ? Un conte ? Comment se trouvait-il
là.[…]
Sanine était un
fort beau garçon, de taille haute et svelte ; il avait des traits
agréables, un peu flous, de petits yeux teintés de bleu exprimant une grande
bonté, des cheveux dorés et une peau blanche et rose. Ce qui le distinguait de
prime abord, c’était cette expression de gaieté sincère, un peu naïve, ce rire
confiant, ouvert, auquel on reconnaissait autrefois à première vue les fils de
la petite noblesse rurale russe. Ces fils de famille étaient d’excellents
jeunes gentilshommes, nés et librement élevés dans les vastes domaines des pays
de demi-steppes.
Sanine avait une démarche
indécise, une voix légèrement sifflante, et dès qu’on le regardait il répondait
par un sourire d’enfant. Enfin il avait la fraîcheur et la santé ; mais le
trait caractéristique de sa physionomie était la douceur, par dessus toute la
douceur !
Il ne manquait pas
d’intelligence et avait appris pas mal de choses. Malgré son voyage à l’étranger, il avait conservé toute sa fraîcheur d’esprit et les sentiments qui
à cette époque troublaient l’élite de la jeunesse russe, lui étaient totalement
inconnus.
Ivan Sergueïevitch Tourgueniev: Eaux
printanières
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