Marie Nicolaevna, née Kolychkine,
était une femme qu’on ne pouvait s’empêcher de remarquer. Ce n’est pas qu’elle
fût une beauté incontestée : on distinguait nettement en elle les traces
de son origine plébéienne. Le front était bas, le nez un peu charnu et
légèrement retroussé : elle ne pouvait pas se glorifier non plus de la
finesse de sa peau, ni de l’élégance de ses mains et de ses pieds… mais que
signifiaient ces détails ?
Celui qui la voyait ne restait
pas en contemplation devant une « beauté sacrée » comme disait le
poète Pouchkine, mais devant le prestige d’un vigoureux et florissant corps de
femme, russe et tzigane… et il n’y avait pas moyen de ne pas tomber en arrêt
devant elle.
Mais l’image de Gemma protégeait
Sanine, comme le triple bouclier que chante le poète.
Dix minutes plus tard Maria
Nicolaevna apparut de nouveau avec son mari.
Elle s’approcha de Sanine… et sa
démarche était si séduisante, que certains originaux… hélas ! Que ces
temps sont loin, – devenaient follement épris de Maria Nicolaevna rien que pour
sa démarche.
« Lorsque cette femme marche
à ta rencontre, on dirait que le bonheur de ta vie entre par la même
porte ! » disait un de ses adorateurs.
Elle tendit la main à Sanine et
lui dit de sa voix caressante et contenue :
– Vous ne vous retirerez pas
avant mon retour n’est-ce pas ? Je rentrerai de bonne heure…
Sanine s’inclina
respectueusement, tandis que Maria Nicolaevna disparaissait derrière la
portière ; sur le seuil elle tourna la tête en arrière et sourit, et de
nouveau Sanine ressentit la même impression harmonieuse qu’il avait éprouvée un
moment auparavant.
Lorsque Maria Nicolaevna souriait,
on voyait se creuser sur chacune de ses joues non pas une, mais trois petites
fossettes – et ses yeux souriaient plus encore que ses lèvres, longues,
empourprées et rayonnantes avec deux minuscules grains de beauté à gauche.
Ivan Sergueivitch
Tourgueniev: Eaux printanières
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