Sur la grand - place
de Kaisarbagh, entre les palais royaux et le marché aux épices, douze gibets
sont dressés. A quelques mètres, sur une tribune surmontée d’un dais cramoisi,
de confortables sièges attendent les dignitaires et la Rajmata, dont on
chuchotte que, bravant la tradition, elle a décidé d’assister personnellement à
l’exécution des traîtres. De chaque côté de la tribune un régiment de cipayes
se tient au garde-à-vous.
Soudain résonnent
les longues trompes de cuivre, la cour fait son apparition. Sont présents tous
les ministres vêtus de chogas de soie et coiffés de topis brodés, et les chefs
de l’armée arborent fièrement les médailles gagnées sur les champs de bataille
britannique, enfin la régente, enveloppée de voiles sombres mais le visage à
demi découvert, impassible.
[…]
Arrêtés la veille et
jugés sur-le-champ, ils ont été condamnés pour haute trahison. Les uns, les uns
des commerçants, fournissaient les assiégés en victuailles ; les autres
travaillent à la nouvelle fabrique de munitions, bourraient les balles de
paille, de son et de poussière à la place
de poudre et de plomb. Interrogés, ils ont vite avoué : leur intention n’était
pas d’aider les Angrez mais seulement… de se faire un peu d’argent.
A présent,
tremblants de tous leurs membres, ils implorent à genoux la souveraine, cette
jeune femme au regard profond qui tient leur sort entre ses mains.
« Pitié,
Houzour ! sanglotent-ils, nous ne sommes pas des traîtres, juste des
hommes ordinaires qui nous sommes laissés tenter. Ce n’était pas pour nous, c’était
pour nos enfants. Vous êtes une mère, vous pouvez nous comprendre ? Nous
vous en supplions, laissez-nous vivre ! Nous serons vos serviteurs les
plus dévoués, vous pourrez nous demander n’importe quoi, mais accordez-nous
votre grâce ! Ne plongez pas nos familles dans la misère et le désespoir,
laissez leurs pères à des innocents ! »
Le spectacle de ces
hommes en pleurs est difficilement supportable, même pour un militaire endurci.
Inquiet Jai Lal jette un coup d’œil à la régente, son visage
est livide. Elle lève la main – les condamnés se sont tus, chacun retient son
souffle-, puis lentement elle la laisse tomber.
Les acclamations de
la foule couvrent les cris des suppliciés : justice est rendue ! Si
certains en doutaient encore, désormais le peuple tout entier sait qu’il est
gouverné par une véritable souveraine.
Kenizé Mourad, Dans la ville d’or et
d’argent (p 294, 295,296 )
( A suivre...)
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