Peu à peu la révolte
s’étend à tout le nord-est des Indes, et une grande partie du centre, cœur de
la région mahratte, menace de se
soulever.
A Calcutta, en ce
mois d’août 1857, le Gouverneur général n’arrive plus à communiquer avec ses
officiers ; les lignes téléphoniques ont été sabotées et rébellion dans la
province du Bihar rend quasi impossible la circulation des courriers. […]
Le 14 août, une
armée de trois mille hommes, menée par le général Nicholson, est arrivée devant
Delhi dont elle a renforcé la siège, dans l’attente de troupes supplémentaires.
Le gouverneur des Indes a ordonné de concentrer le maximum de forces pour
reprendre l’ancienne capitale. […]
« Pour chaque église détruite on
devrait détruire cinquante mosquées. Pour chaque chrétien mis à mort on devrait
massacrer mille rebelles », déclare The Times
A Lucknow on a
accueilli la nouvelle du siège de Delhi sans aucune inquiétude. La ville est
imprenable : entourée de douves de six mètres de profondeur et de quatre
mètres de large, elle est défendue par des dizaines de milliers de cipayes. Ce
qu’on ignore c’est qu’elle souffre d’une grande pénurie de vivres et de munitions
et que les soldats affamés sont de plus en plus nombreux à déserter. […]
Prévenu par ses
espions, le rajah Jai Lal a informé la régente qu’à la tête de troupes
importantes et bien équipées, Outram projette de faire la jonction avec le
général Havelock à Kanpour afin de lancer une attaque conjointe à Lucknow.
[…]
Les combats vont
durer trois jours.
Au plus fort des
combats, une femme apparait sur la champ de bataille. Montée sur un éléphant,
du haut de son hawdah elle encourage les combattants qui l’acclament :
c’est la régente. Pour stimuler ses soldats dans cet affrontement où pour la
première fois Luknow est menacée, elle a décidé de prendre part directement aux
combats. Mais elle y est poussée également par un besoin de revanche contre cet
Outram qui a tant humilié la famille royale.
Surpris par les
clameurs, le rajah Jai Lal s’est rapproché : reconnaissant la jeune femme,
il reste un instant figé, partagé entre admiration et colère. La colère
l’emportant, il éperonne son cheval et, arrivé à sa hauteur, il l’apostrophe
rudement :
« Que
faites-vous là ? Avez-vous perdu l’esprit ? Cette guerre n’est pas un
jeu, vous vous devez à l’Etat et au roi votre fils, vous n’avez pas le droit de
vous faire tuer ! »
De fureur les yeux
verts sont devenus presque noirs.
« Comment
osez-vous me donner des ordres ? Je fais ce que j’estime nécessaire :
les soldats ont besoin des encouragements de leu reine. »
Et elle lui tourne
le dos.
Pendant plusieurs
heures elle va rester auprès d’eux, exorbitant les cipayes qui, subjugués par l’intrépidité
de cette fragile jeune femme, vont se battre avec une vaillance déculpée.
Lorsqu’enfin elle
rentre au palais, encore exaltée par le feu de la bataille, un messager l’attend,
les vêtements poussiéreux et l’air épuisé. Il arrive de Delhi : après une
semaine de combats farouches, la ville impériale est tombée.
[…]
Restée seule, la
régente s’est fait apporter son hookah ; elle aspire profondément, le
bruissement de l’eau dans le flacon de cristal et les volutes de fumée odorante
la calment peu à peu. Sourcils foncés, elle réfléchit : après la chute de Kanpour et maintenant de Delhi, les
Britanniques vont concentrer toutes leur force sur Lucknow. Il faut mettre au
point un nouveau plan d’action. Elle doit en parler à Jai Lal.
… Jai Lal… Il doit être
furieux, elle l’a insulté en public ! Mais aussi quel besoin a-t-il de
vouloir contrôler ses faits et gestes ? Elle est la régente, c’est elle
qui décide ! Cependant… il semblait bouleversé.
… Avait-il
vraiment peur pour moi ? Pour moi ou pour la reine qui, comme il l’a
souligné, se doit à l’Etat et à son fils ? Ne suis-je que cela pour lui…
la reine ?...
Elle se souvient de son émotion lorsque Mumtaz lui avait
appris que le rajah était amoureux d’une belle inaccessible…
… J’avais alors cru…sans doute m’étais-je fait des
illusions.
En dépit de son
amabilité, Jai Lal garde désormais ses distances. Qu’à cela ne tienne, elle
aussi les gardera, elle ne va quand même pas mendier son amitié.
Kenizé
Mourad, Dans la ville d’or et d’argent ( p323, 324, 325, 326, 327, 328,
329, 330 )
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