Le lendemain matin,
Hazrat Mahal envoie quérir le rajah. Elle a passé la nuit réfléchir aux causes
de la défaite et à se demander comment y remédier. Elle veut en discuter avec
lui.
Le messager est
revenu bredouille : le rajah n’est pas chez lui.
Devant l’étonnement
de sa maîtresse, Mammoo qui, chaque matin, vient lui apporter les dernières nouvelles, se fait
un plaisir de préciser :
« Il a passé la
nuit au Chowq, chez les courtisanes. » Et, devant l’expression stupéfaite
d’Hazrat Mahal, il ajoute, perfide :
« En dépit de
la gravité de la situation, il semble ne pas pouvoir s’en passer. »
C’est l’occasion rêvée
de se venger. L’eunuque vit très mal la
place prise par le rajah auprès de sa maîtresse, lui, qui pendant dix ans a été
son seul confident, qui l’a soutenue et encouragée dans les pires moments. […]
… Comment peut-il ? Moi qui croyais…
Restée seule, Hazrat
Mahal se mord les lèvres de fureur, des larmes de dépit lui montent aux yeux,
comment a- t-elle pu être aussi sotte ?
Cet homme qu’elle admirait au point de lui demander son avis toutes les affaires
du royaume, cet homme dont elle respectait l’intégrité, n’est donc qu’un
vulgaire jouisseur qui, à peine sorti de chez elle, va se vautrer chez les
courtisanes ! Ah, il s’est bien moqué d’elle !
Comme il a dû rire de son innocence !
Elle va lui dire…
Elle s’est arrêtée
net.
Que peut-elle lui
dire ? Elle n’a aucun droit sur lui, aucun droit de commenter sa vie
privée, il y a entre eux que des relations de travail…
… Et pourtant… Ai-je
imaginé la lueur dans ses yeux lorsque j’apparais ? Ai-je rêvé la douceur
de sa voix lorsqu’il me sent inquiète ? Tout cela ne serait-il que la
comédie d’un séducteur, ou pire d’un arriviste ?
A 5 heure, toujours ponctuel, le
rajah s’est présenté chez la régente pour leur entretien quotidien. Hazrat Mahal
a longuement hésité à le recevoir, si elle s’écoutait, elle romprait sur- la-
champ leurs relations. Mais tout le monde se demanderait pourquoi, lui le
premier. Et sur la vraie raison elle ne peut que garder le silence. En outre,
elle a plus que jamais besoin de ses conseils : il lui faut trouver de l’argent
pour aider les familles des soldats tombés au champ de bataille. […]
L’entrevue sera
brève. Avec une raideur inhabituelle, Hazrat Mahal s’enquiert des possibilités
de financement, et le rajah suggère de reprendre la levée des impôts sur les
domaines des taluqdars, interrompue par la guerre. […]
Jamais Hazrat Mahal
ne s’est montrée aussi distante, jamais elle n’a signifié aussi clairement au
rajah qu’elle est la souveraine. Blessé par cette attitude qu’il met sur le
compte de la défaite de la veille et qu’il trouve injuste, Jai Lal se retranche
derrière un discours purement professionnel, et c’est avec froideur qu’ils se
quittent, mécontents l’un de l’autre.
Mais ils n’auront
pas le temps de s’appesantir, des affaires urgentes les réclament.
Kenizé
Mourad, Dans la ville d’or et d’argent ( p 265,266, 267,268 )
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