« Bienvenue,
Rajah sahab ! Venez vous asseoir et parlons un peu. »
C’est de son plus
éblouissant sourire qu’Hazrat Mahal salue le rajah Jai Lal venu, comme chaque
après-midi, lui rendre compte des dernières opérations militaires et de l’état
de l’armée.
Etonné par cet
accueil dont il n’a plus l’habitude, le rajah s’est figé sur le seuil, sourcils
froncés. Depuis des semaines la régente ne lui adresse plus la parole que sur
un ton strictement professionnel, alors qu’auparavant, elle encourageait des
relations détendues, quasi amicales. Il n’a pas compris ce brusque revirement
et en a été blessé, mais il a fini par en prendre son parti, se disant qu’il
lui avait accordé trop de crédit et qu’il aurait dû savoir que toutes les
femmes sont versatiles, et plus encore les reines.
Quelle
mouche la pique aujourd’hui ? Elle semble soudain remarquer que j’existe.
S’attend-elle à ce que je me précipite à ses pieds, éperdu de reconnaissance ?
Pour qui me prend-elle ?
C’est sur un ton
froid qu’il lui répond :
«
Pardonnez-moi, Houzour, je ne puis rester, j’ai à faire. Vous trouverez
consignés sur ces feuilles les opérations de ces derniers jours et les besoin
de l’armée pour la semaine à venir. Si vous voulez bien en prendre
connaissance, nous pourrons en discuter plus tard. »
Et sans lui laisser
le temps de réagir, il la salue et se retire.
Restée seule, Hazrat
Mahal, un instant interdite, s’est prise à rire :
Bien répondu ! Pouvais-je imaginer qu’il
réagisse autrement ? C’est cette liberté que j’apprécie chez lui… Quel que
soit l’enjeu, il est incapable de se montrer docile ou courtisan. Je l’ai
blessé, reconquérir sa confiance ne sera pas facile, mais j’y arriverai, son
amitié m’est très chère.
Son amitié ?...
D’un geste impatient
la Rajmata rejette le mot qui de plus en plus s’impose à elle… N’est-elle pas
mariée à Wajid Ali Shah ? Un homme bon qu’elle respecte, et qui mérite d’autant
plus sa loyauté qu’il est captif et séparé de ses proches.
… Jai Lal lui aussi est marié et a des fils
dont il est fier. Son épouse est, dit-on, surtout la mère de ses enfants. Il y
a peu de romantisme dans ces mariages arrangés – en général entre cousins pour
que la terre reste dans la famille. Mais justement, à cause de ce manque de
romantisme, ils sont solides : la femme se consacre aux enfants et l’homme
a tout loisir d’aller rêver ailleurs !...
Toute la nuit Hazrat
Mahal a débattu avec elle-même pour en arriver à la conclusion que ce qu’elle
peut espérer de mieux c’est de créer avec le rajah une relation de confiance,
mais qu’en revanche, il serait néfaste et dangereux de s’aventurer plus avant.
Aussi le lendemain,
c’est avec une amabilité sereine qu’elle le reçoit au palais. Elle désire
mettre au point les derniers détails du plan d’évasion du roi.
« Comme vous
le savez, Djan-e- Alam s’affaiblit de jour en jour. Nous ne devons plus
attendre. S’il lui arrivait malheur, je ne m’en remettrais pas. »
Le rajah ne peut se
défendre d’un petit pincement au cœur :
…L’aime-t-elle toujours autant ou se sent-elle
coupable ? Qu’elle participe ou non à la rébellion, les britanniques
auraient de toute façon emprisonné le roi, selon le principe de tout pouvoir,
en vertu duquel vaut mieux être injuste qu’imprudent. Mais pourquoi est-ce que
je m’inquiète pour elle ? Ce qu’elle fait et ce qu’elle pense, dans la mesure
où cela n’interfère pas avec notre combat, ne ma regardent pas…
Kenizé Mourad, Dans la ville
d’or et d’argent ( p 307, 308, 309 )
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