La reprise de
Kanpour sera de courte durée. Dès la mi-décembre, la ville est à nouveau
occupée par les anglais. […]
Cependant, à
Lucknow, la régente et son état major s’inquiètent :
En ce mois de
janvier 1858, on s’attend à une nouvelle attaque, plus sévère encore que les
précédentes, car on sait que le général Campbell a reçu de puissants renforts
d’Angleterre et qu’ils sont en route vers Awadh.
Hazrat Mahal a
entrepris de fortifier Lucknow. Quinze mille hommes s’activent à construire un
mur autour de la ville, excepté au nord, où la rivière Gomti constitue une
protection naturelle. Dans chaque rue et chaque allée on dresse des barricades,
les principaux bâtiments sont renforcés et chaque maison est pourvue de
meurtrières.
Autour de
Kaisarbagh, les tranchées ont été remplies de l’eau du Gomti et on a édifié
trois lignes de défense. Transformés en véritables citadelles, avec bastion à
chaque angle, les palais, dont le plus grand abrite désormais le commandement
des forces armées, sont défendus par cent vingt-sept canons.
[…]
La Rajmata est sur
tous les fronts. Montée sur l’éléphant royal, elle visite chaque chantier pour
encourager les hommes et s’assurer que les rations distribuées sont
suffisantes. Beaucoup n’ont en effet plus de quoi se nourrir, depuis que les
champs ont été brûlés par les armées ennemies, les céréales sont rares et
chères. Aussi a-t-elle décidé de nommer dans chaque quartier un responsable
chargé de veiller à ce que personne ne meure de faim, au besoin en prenant aux
riches pour donner aux pauvres.
Elle a également
convoqué les banquiers pour leur demander un prêt de deux millions de roupies,
ce qu’ils ont refusé net. Mais en insistant et maniant tour à tour promesses et
menaces, elle est parvenue à obtenir un premier versement. Ce n’est pas
suffisant car il faut payer les troupes : aussi dévoués que soient les
soldats, ils ne peuvent se battre le ventre vide ni laisser leur famille mourir
de faim. Alors Hazrat Mahal décide de faire fondre ses bijoux et tous ses
ornements d’or et d’argent. Et, malgré les cris indignés des bégums, elle les
oblige de faire de même. Sur les sommes obtenues, elle mettra secrètement de
côté un petit trésor de guerre afin de financer ses actions diplomatiques. […]
Chaque jour, du
matin au soir, Hazrat Mahal s’emploie à organiser et à stimuler les énergies,
mais lorsqu’elle rentre, épuisée, elle se heurte à d’autres traces. Dans leur
palais de Kaisarbagh, les bégums ont formé un front contre elle. La
confiscation de leurs bijoux a été la goutte de trop. Depuis longtemps la
jalousie et l’irritation montaient devant la puissance de la nouvelle Rajmata
qui, après tou, n’était que la quatrième épouse, et qui est, d’origine très
modeste ! […]
Hazrat Mahal a beau
tenter de se convaincre que ce sont là jalousie sans importance, qu’elle est au
dessus de ces mesquines intrigues, elle ne peut s’empêcher de ressentir
durement ces attaques. Heureusement qu’elle a Mumtaz ! Elle lui a fait
aménager une chambre auprès de la sienne et ainsi elles passent de longs
moments ensemble.
Mais si Mumtaz peut
la réconforter, elle ne peut guère la conseiller sur les affaires politiques.
Les longues discussions avec Jai Lal lui manquent, elle aimerait tant l’avoir
auprès d’elle comme naguère, lui qui sait toujours ce qu’il faut faire alors qu’elle,
souvent, hésite et se pose mille questions. Sa force et son esprit de décision
la fascinent ; il la rassure quand elle doute, et sa confiance et son
admiration lui redonnent l’énergie d’avancer.
Elle multiplie les
occasions de le rencontrer : dans cette cour où on ne peut se fier à
personne, la présence de Jai Lal, sa voix chaleureuse, son sourire lui sont
devenus indispensables.
Pourtant le rajah
reste sur la défensive. Il voit bien que le jeune femme cherche à nouer les
liens d‘autrefois, mais autrefois, pour tous deux, il n’y avait qu’amitié et
admiration réciproque, tandis que maintenant… Il sait qu’il tient à elle comme
il n’a jamais tenu à aucune autre femme. Mais elle ? Que ressent- elle
pour lui ? Elle est si changeante… fait alterner sans raison apparente des
moments de froideur et de charme… Il ne veut plus s’y laisser prendre. Ne l’a-t-il
pas vue l’autre jour faire la coquette avec le prince Firouz ?
Comment pourrait-il
deviner que Firouz Shah est le dernier souci de la bégum ?
Kenizé
Mourad, Dans la ville d’or et d’argent ( p 363,364,365,366, 367, 368 )
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