Le 12 novembre au petit matin, les habitants du palais sont réveillées
par des vociférations et des cliquetis d’armes. Un bataillon de soldats mené
par un officier britannique essaie de pénétrer à Chattar Manzil. Les gardes qui
tentent de résister sont rapidement neutralisés et les eunuques bousculés sans
ménagement.
« Ordre de Son Excellence le haut-commissaire, clame l’officier,
un grand gaillard sanglé dans son uniforme rouge. L’avis de l’évacuation a été
envoyé voici un mois. Dans sa grande indulgence et par considération pour les
dames de l’ex-maison royale, Son Excellence leur a accordé un délai de grâce. Le délai a
expiré. Ces dames sont priées de rassembler leurs affaires et de quitter le
palais dans l’heure. »
Derrière les lourdes tentures du zénana, c’est l’affolement. On entend
des cris, des gémissements, des protestations outragées : « Quitter
le palais ? C’est impossible ! Et pour aller où ? »
« Vous avez eu un mois pour vous préparer, maintenant vous avez une
heure mesdames, pas une minutes de plus. »
A l’intérieur du zénana le désordre est à son comble. A peine
réveillées, les femmes ont l’impression de se débattre en plein cauchemar.
Elles ne peuvent croire à leur malheur. C’est vrai, il y a eu cet ultimatum
mais elles ne l’ont pas pris au sérieux, persuadées que l’intervention de Wajid
Ali Shah allait tout régler. Et maintenant ces monstres… Paniquées, elles
courent d’une pièce à l’autre, pleurant houspillant les eunuques et les
servantes : que faire ? Qu’emporter ? En hâte, on jette dans des
sacs de fortune les lourdes parures de
rubis, de diamants et d’émeraudes ; mais parmi les dupattas rehaussées de
perles, les gararas brodés d’or, les nécessaires de toilettes en écaille ou en
ivoire, la vaisselle de vermeil, les miroirs d’argent, cette multitudes
d’objets précieux indisponsables, lesquels prendre, lesquels laisser ? Un choix cruel, impossible… Ce
luxe, ce raffinement, c’est toute leur vie, leur vie qu’en cet instant ces
brigands leur demandent d’abandonner ! […]
Tandis qu’un temps précieux se perd en vaines discussions, Hazrat Mahal,
secondée par Mammoo, a fait ranger ses bijoux, ses plus beaux vêtements ainsi
que ses livres et ses manuscrits dans des malles veillées par ses serviteurs. Un
eunuque envoyé s’acquérir de leur nouvelle destination rapporte que les épouses
royales, leurs enfants et leurs suite doivent s’installer dans l’aile sud de
Kaisarbagh.
Revenue chez ses compagnes, Hazrat Mahal les presse :
« Il ne reste que dix minutes, je crois que vous devriez vous hâter.
-
Si vous voulez obéir aux Angrez,
grand bien vous fasse ! Nous, nous avons décidé de rester, lui répond avec
hauteur la bégum Shahnaz.
-
Voyons, soyez réalistes ;
ils ne vous le permettront pas !
-
Nous ne sommes pas des
lâches, nous nous battrons ! »
Excédée, Hazrat Mahal se garde d’insister, elle ne comprend pas cette
attitude puérile, après tout leur sort pourrait être pire, les palais de
Kaisarbagh sont parmi les plus beaux de Lucknow et leurs parcs les plus vastes
et les plus fleuries.
Kenizé Mourad, Dans la
ville d’or et d’argent (P 106,107, 108)
( A suivre...)
( A suivre...)
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