Sur les ordres du nouveau haut- commissaire, les plus beaux palais de
Lucknow sont progressivement saisis par les Britanniques. Et tous les prétextes
sont bons. En ce début de septembre 1856 la rumeur selon laquelle Qadir Ali
Shah, un maulvi, commandant une troupe de douze mille fidèles, préparait un
soulèvement et qu’une partie de la famille royale serait impliquée, va
déclencher une série de confiscations.
[…]
« Mesdames ! Une lettre de sa Majesté. »
Une lettre de Djan-e- Alam ! Les femmes se sont figées.
Enfin ! Depuis huit mois qu’il est parti, elles n’ont pas reçu le moindre
message, elles ont juste appris par la rumeur qu’après six semaines de voyage,
il avait atteint Calcutta où il s’était arrêté quelques temps pour ce reposer
des fatigues de la route et préparer son départ pour la lointaine Angleterre.
Avec un mélange d’appréhension de d’espoir, elles regardent l’étui qui
protège le précieux parchemin. Annonce-t-il le succès de sa mission ?
La première, Hazrat Mahal reprend ses esprits.
« Le messager vient-il directement d’Angleterre ? »
-
Non, Houzour. Il arrive de
Calcutta. »
-
De Calcutta ! Les femmes se récrient : pourquoi un tel
détour ? […] Vite, brisons le seau et voyons ce que nous dit notre roi
bien- aimé.
C’est à une cousine du roi, la bégum Shahnaz, la plus âgée d’entre
elles, que revient l’honneur de lire à haute voix l’auguste message.
« A mes épouses et parentes respectées
et si chères à mon cœur.
Depuis le jour fatidique où je vous ai
quittées et où j’ai dû abandonner ma ville adorée, pas un jour ne se passe sans
que les larmes ne m’étreignent à la pensée de tout ce que j’ai perdu. Le voyage
fut très dur, je suis tombé malade et nous avons été contraints de faire une
longue halte à Bénarès où le maharajah m’a accueilli come un frère. Maintenant
que je suis à Calcutta je vais mieux malgré l’humidité détestable. Mais en
arrivant, j’étais si épuisé que je ne me suis pas senti capable d’affronter la
longue traversée des mers. J’ai donc décidé d’envoyer à ma place la Rajmata
afin qu’elle plaide ma cause auprès de la reine Victoria. Vous connaissiez
toute l’intelligence et la ténacité de la reine ma mère, je suis convaincu que
je pourrais avoir de meilleur ambassadeur. Mon frère et mon fils aîné l’accompagnent,
ainsi que quelques-uns de mes ministres et surtout la major Bird, un soutien
inestimable qui pourra témoigner de se qui s’est réellement passé. En tout cent quarante personnes ont
embarqué le 18 juin et sont arrivées sans encombre à Southampton le 20 août. […]
Pour passer le temps, j’ai entrepris de monter un nouveau spectacle mais mes
fées me manquent, celles de Calcutta ne peuvent se comparer aux beautés de
Lucknow !
Et vous, mes chères épouses, me manquez plus
que tout.
J’espère que bientôt un sort
plus favorable nous réunira.
En pleurant d’être séparé de
vous, je baise vos belles mains. »
Un sourire amer aux lèvres, Hazrat Mahal songe à ce roi qu’elle a si
longtemps admiré.
… Il ne parle que de lui, de ses regrets,
de sa tristesse, pas un mot pour s’inquiéter de notre sort, à nous qui depuis
son départ sommes seules face à l’arbitraire de l’occupant !...et pas même
une allusion aux messages que je lui envoie. Les reçoit-il ? […]
Ses compagnes, quant à elles, ne se tiennent pas de joie.
« Cette lettre est un signe du ciel, commente la bégum Shahnaz,
elle nous indique la voie : nous allons écrire au roi pour lui décrire
notre situation et le prier de rappeler au gouverneur général ses promesses.
Soulagées, les femmes approuvent. Si Djan-e-Alam intervient, elles sont
sauvées ! Hazrat Mahal ne partage pas leur confiance mais elle se garde d’émettre le moindre commentaire.
Kenizé Mourad, Dans la
ville d’or et d’argent (p100, 101, 102, 103, 104, 105)
(A suivre...)
(A suivre...)
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