vendredi 29 mai 2015

Dans la ville d’or et d’argent ( Extrait du chapitre 3 )



    Amman et Imaman sont reparties, laissant les trois jeunes filles au harem princier.
   Tandis que Sakina et Yasmine participent quotidiennement  aux répétitions dirigées par le prince, Muhammadi qui n’y est pas conviée, se tient à l’écart, de plus en plus inquiète. Personne  ne lui adresse la parole. Touchées sur le moment par ses poèmes, les femmes se sont reprises ; elles ne lui pardonnent pas de se vouloir différente et, à voix haute, commentent le caractère volage de Wajid Ali Shah qui, du jour au lendemain, est capable d’oublier celle qui, un instant, a su capter son attention.
 Quant à ses anciennes compagnes, elles ne font rien pour la rassurer : «  Sa Grâce est passionnée par son nouveau ballet, et si gentille avec toutes les danseuses ! Tu a eu tort de lui tenir tête, il n’aime pas les femmes qui ont mauvais caractère et les plus anciennes disent que tu risques de passer ta vie comme chambrière. »
   Une semaine s’est écoulée, un soir Wajid Ali Shah l’a fait mander dans ses appartements privés. Entourés de quelques amis, il est adossé à d’épais coussins et fume un splendide hookah damasquiné d’or. Interdite, Muhammadi s’est figée sur le seuil.
   «  Allons n’aie pas peur, viens  nous réciter quelques-uns de tes poèmes », l’a-t-il encouragé en souriant.
  Mise en confiance, elle s’est recueillie quelques instants puis, d’une voix vibrante, a commencé par un poème à la gloire du plus grand amoureux des hommes, l’empereur Shah Jahan qui, pour sa bien-aimée, avait fait construire le Taj Mahal, cette merveille de marbre blanc. Longuement elle a déployé son talent et son charme, interrompue seulement par les exclamations flatteuses de l’assemblée.
   Tard, dans la nuit, chacun est rentré chez soi, mais Wajid Ali Shah l’a priée de rester. «  Si tu le veux », a-il- murmuré.
  Si elle le voulait ! C’est à ce moment là qu’elle est tombée amoureuse.
   Elle se souvient de leurs nuits passés ensemble à réciter des poèmes et à s’aimer jusqu’au matin. Elle s’émerveillait de sa délicatesse, lui  de son innocence. Il avait composé un poème en son honneur qui commençait ainsi :
                
         « Par que miracle Amman et Imaman ont-elles pu amener ici cette jeune fille modeste De tout son corps s’exhale un parfum se rose, c’est une fée. »

    Quelques semaines plus tard, elle était enceinte, c’est alors qu’il lui donna le titre de « Iftikhar un Nissa », «  la fierté des femmes », car il appréciait son orgueil qui la distingue des autres, tellement soumises.
                     Kenizé Mourad, Dans la ville d’or et d’argent ( p 39, 40, 41)


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