Amman et Imaman sont reparties, laissant les trois jeunes filles au
harem princier.
Tandis que Sakina et Yasmine participent
quotidiennement aux répétitions dirigées
par le prince, Muhammadi qui n’y est pas conviée, se tient à l’écart, de plus
en plus inquiète. Personne ne lui adresse
la parole. Touchées sur le moment par ses poèmes, les femmes se sont reprises ;
elles ne lui pardonnent pas de se vouloir différente et, à voix haute,
commentent le caractère volage de Wajid Ali Shah qui, du jour au lendemain, est
capable d’oublier celle qui, un instant, a su capter son attention.
Quant à ses anciennes compagnes, elles ne
font rien pour la rassurer : « Sa Grâce est passionnée par son nouveau
ballet, et si gentille avec toutes les danseuses ! Tu a eu tort de lui
tenir tête, il n’aime pas les femmes qui ont mauvais caractère et les plus
anciennes disent que tu risques de passer ta vie comme chambrière. »
Une semaine s’est écoulée, un soir Wajid Ali Shah l’a fait mander dans
ses appartements privés. Entourés de quelques amis, il est adossé à d’épais
coussins et fume un splendide hookah damasquiné d’or. Interdite, Muhammadi s’est
figée sur le seuil.
« Allons n’aie pas peur, viens nous réciter quelques-uns de tes poèmes »,
l’a-t-il encouragé en souriant.
Mise en confiance, elle s’est recueillie quelques instants puis, d’une
voix vibrante, a commencé par un poème à la gloire du plus grand amoureux des
hommes, l’empereur Shah Jahan qui, pour sa bien-aimée, avait fait construire le
Taj Mahal, cette merveille de marbre blanc. Longuement elle a déployé son
talent et son charme, interrompue seulement par les exclamations flatteuses de
l’assemblée.
Tard, dans la nuit, chacun est rentré chez soi, mais Wajid Ali Shah l’a
priée de rester. « Si tu le veux », a-il- murmuré.
Si elle le voulait ! C’est à ce moment là qu’elle est tombée
amoureuse.
Elle se souvient de leurs nuits passés ensemble à réciter des poèmes et
à s’aimer jusqu’au matin. Elle s’émerveillait de sa délicatesse, lui de son innocence. Il avait composé un poème en
son honneur qui commençait ainsi :
« Par
que miracle Amman et Imaman ont-elles pu amener ici cette jeune fille modeste
De tout son corps s’exhale un parfum se rose, c’est une fée. »
Quelques semaines plus tard, elle était enceinte, c’est alors qu’il lui
donna le titre de « Iftikhar un Nissa », « la fierté des femmes »,
car il appréciait son orgueil qui la distingue des autres, tellement soumises.
Kenizé
Mourad, Dans la ville d’or et d’argent ( p 39, 40, 41)
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