mardi 26 mai 2015

Dans la ville d’or et d’argent ( Extrait 1 du chapitre 2 )



   Muhammadi, c’était  alors son prénom, était née dans une famille de petits artisans de Fayzabad, l’ancienne capitale du royaume d’Awadh, une ville prospère jusqu’à ce qu’en 1798 le roi Asaf ud Daulah choisisse de s’installer à Lucknow. Ce départ avait signé la ruine de milliers d’artisans qui fournissaient en bijoux , riches étoffes et bibelots précieux une cour nombreuse et raffinée. Désespéré, le grand père de Muhammadi s’était laissé mourir et son père, Mian Amber, avait survécu de divers petits travaux, jusqu’à ce qu’en 1842 on lui offre un poste d’intendant à Lucknow.
   Toute la famille l’avait suivi mais, quelques mois plus tard, Mian Amber avait été emporté par la tuberculose. Muhammadi, sa plus jeune fille, avait été recueillie par son oncle, réputé le meilleur brodeur de «  topis », ces toques de velours ou de soie, à la mode chez les aristocrates. On disait les siennes si parfaites qu’elles s’adaptaient exactement à celui auquel elles étaient destinées, et que tout autre, s’il les coiffait, en concevait d’insupportables maux de tête.
   Un jour où le brodeur préparait un topi pour prince héritier, la jeune fille ne put résister et, profitant d’une absence de son oncle, se coiffa de la merveille de soie bleu nuit parsemée d’une constellation de petits diamants. Dans le miroir, elle avait eu un choc : une ravissante princesse la regardait. A regret, elle avait reposé le topi sur la table. Juste à temps, son oncle rentrait, on demandait la coiffe, il fallait la livrer tout de suite.
   Le lendemain, la paisible ruelle  avait retenti de grands cris :
   «  Où est donc ce gredin de brodeur ? Qu’on le bastonne ! »
   Terrifié, le brodeur s’était enfui par l’arrière-cour tandis que son épouse, trembalante, ouvrait la porte. Devant elle, un grand eunuque noir, accompagné de deux gardes, tenait le topis.
   «  Où est ton mari ? »
-          Il est sorti… »
   Après avoir fait signe  aux gardes de fouiller la maison, l’eunuque avait repris menaçant :
   «  Qui a osé porter le topis destiné au prince héritier ?
-          Mais personne jamais n’aurait…
-          Et comment donc expliques-tu ceci ? avait grondé l’eunuque en agitant la coiffe à l’intérieur de laquelle était accroché un long cheveu noir, et il avait jeté le topi par terre.
   Sur ces entrefaites, les gardes étaient revenus, poussant devant eux Muhammadi, livide.
   «  Nous n’avons pas trouvé le brodeur mais cette fille se cachait dans la pièce du fond ! »
               
                        Kenizé Mourad, Dans la ville d’or et d’argent ( p 27,28,29 )

                                                                                                                         ( A suivre...)



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