Le jour me fatigue et
m'ennuie. Il est brutal et bruyant. Je me lève avec peine, je m'habille avec
lassitude, je sors avec regret, et chaque pas, chaque mouvement, chaque geste,
chaque parole, chaque pensée me fatigue comme si je soulevais un écrasant fardeau.
Mais quand le soleil baisse, une joie confuse, une joie de tout mon corps
m'envahit. Je m'éveille, je m'anime. A mesure que l'ombre grandit, je me sens
tout autre, plus jeune, plus fort, plus alerte, plus heureux. Je la regarde
s'épaissir la grande ombre douce tombée du ciel : elle noie la ville, comme une
onde insaisissable et impénétrable, elle cache, efface, détruit les couleurs,
les formes, étreint les maisons, les êtres, les monuments de son imperceptible
toucher. Alors j'ai envie de crier de plaisir comme les chouettes, de courir
sur les toits comme les chats ; et un impétueux, un invincible désir d'aimer
s'allume dans mes veines.
Guy de Maupassant, La nuit
Superbe photo bien illustrée par le texte de Maupassant
RépondreSupprimerMerci Marie !
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