Mon fils, roi ?
L’ambition caressée en secret depuis onze ans pourrait-elle se réaliser ?
Hazrat Mahal frisonne sans bien savoir si c’est d’excitation ou de crainte. […]
Autour d’elle les femmes discutent. Les arguments de Rajah ont eu raison
de leurs hésitations et à présent elles s’emploient à convaincre la jolie Khas
Mahal de la chance et de l’honneur qui lui sont dévolus. Car pour elles, il n’y
a aucun doute, s’il faut désigner un successeur au malheureux Wajid Ali Shah,
ce ne peut être que son fils aîné, même si… Même si Nausherwan Qadar est un adolescent instable que son propre père
avait jugé inapte à régner. Dans les circonstances actuelles il ne sera qu’un
symbole, les décisions seront prises par la régente, conseillée par l’assemblée
des taluqdars. Pourtant, à leur grande surprise, la mère du prince résiste.
Elle, toujours douce au point qu’on l’imaginait passive et malléable, refuse
obstinément une responsabilité qu’elle se sent incapable d’assumer. Elle n’est
pas une femme de pouvoir, elle n’a jamais vécu que pour l’amour de son mari et
de son fils et, alors qu’elle pleure toujours l’époux retenu captif, on lui
demanderait de mettre en danger ce qui lui reste de plus précieux, son Nausherwen
adoré ? Plus ses compagne insistent, plus elle leur oppose un silence
buté.
Ulcérées, les bégums, changent de tactiques, décident de lui faire honte :
ce fils qu’elle dit aimer, est-elle égoïste au point de lui dénier cette chance
inespérée d’accéder au trône ? Le risque ? Il est infime. Les temps
sont troublés certes, mais ville après ville tout le pays se soulève contre l’occupant.
Les Britanniques sont peu nombreux, sans leurs cipayes, ils ne pourront tenir
longtemps, et lorsque, enfin, ils quittent Awadh toute la gloire et la victoire
reviendra au jeune roi. Etourdie par ces arguments auxquels elle ne sait rien
opposer, la pauvre Khas Mahal finit par céder.
Kenizé Mourad, Dans la
ville d’or et d’argent (p 229,230,231)
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