vendredi 31 mai 2013

Yeux


                                                Fil des saisons de Nathaniel Skousen


«  La belle ligne d'une femme, c'est l'éclair qui blesse délicieusement les yeux. » (Anatole France)

« Ce n'est pas avec les yeux qu'on voit, c'est avec l'âme. » ( Christian Bobin )

« Qui parle de bonheur a souvent les yeux tristes. » ( Louis Aragan )


« Il est dans l'Écriture autant de vérités que d'étoiles dans le ciel : meilleurs sont vos yeux, plus vous en voyez. » (Adam Mickiewicz )

«  Je suis fou de tes yeux qui n'ont d'autre défaut que leur innocence. » ( Henry Becque )


jeudi 30 mai 2013

Le soleil planait comme un oiseau fatigué


   Le soleil planait très bas au-dessus de l’océan comme un oiseau fatigué qui, péniblement, traîne ses ailes d’or ; et les rivages élevés, les hautes masses des arbres, les rochers agrestes vomis par les eaux, les gueules ouvertes des baies, les mâts courbés, les tours des églises et les solitaires menhirs semblaient se pencher vers lui et tendre leurs bras suppliants pour le retenir — mais le soleil pâle, troublé, effaré, s’enfuyait, tombait toujours plus vite, car en haut, par le ciel sombre, couraient les corps monstrueux et gris des nuages ; ils venaient du nord, rampaient menaçants du midi, coulaient en foule innombrable de l’orient, se suivaient pas à pas, s’unissaient en une demi-sphère, en une meute furieuse, affamée.
   Par moments, le jour s’assombrissait, car certains nuages détachés en avant, entremêlés en un vol fou, se précipitaient aveuglément comme des bêtes écumantes dans les abîmes fuligineux du soleil.
   Le jour frémit d’inquiétude ; par le monde passait la frayeur, toutes les voix étaient mortes, toute créature retenait son souffle ; l’océan s’immobilisa ; ce fut le calme de l’attente, le calme de l’effroi ; seules les eaux murmuraient en reculant impuissantes dans les précipices de la crainte et du silence, seuls, les derniers sanglots des dernières lames parmi les rochers armés de crocs noirs, et le clapotis douloureux des longues langues d’écume agrippées aux pierres.
   Soudain le jour s’effrita.
   De tous côtés les nuages atteignirent le soleil et s’effondrant sur lui le mirent en lambeaux flamboyants, le dévorèrent avidement de leurs mâchoires boueuses ; il s’éteignit dans le gouffre de ces gueules immondes.
   Une ombre triste, cendrée, s’épandit sur le jour aveugle.
   Au loin, très loin s’éleva, grave, un sourd grondement.
   Puis un insondable et mortel silence.
   Par le monde quelque chose d’inconcevable s’accomplissait.
   Sur les eaux livides de l’océan s’avançait lourdement l’Inconnu.
   La terre frissonna, les mouettes chassées par la frayeur s’enfuyaient de leurs nids rocheux, les arbres eurent des murmures de crainte.
   Et du village de pêcheurs semé autour de la baie, des ruelles étroites, des maisonnettes en granit, des routes blanches bordées de chênes tordus s’élançaient des femmes vêtues de noir ; les sabots claquetaient sur le granit, les cornettes blanches tremblaient et les rubans flottaient derrière elles.
   Elles allaient vite au bord de l’océan, par deux, par trois, par quatre, comme des lames courtes, écumeuses, avant la tempête ; elles s’arrêtaient immobiles parmi les rochers et leurs yeux inquiets erraient sur les eaux livides, leurs yeux, avec frayeur, fouillaient les ténèbres comme des oiseaux qui tenteraient vainement d’apercevoir la terre.
   Pas une voile ne s’inclinait sur l’onde grise, pas une traînée de fumée ne se dessinait, pas un clapotis ne scintillait dans l’espace.
Et les sabots claquetaient sans cesse. Hors des ruelles étroites, des maisonnettes en granit, des routes blanches, les femmes s’élançaient ; elles allaient par deux, par trois, par quatre ; elles tricotaient des bas et s’avançaient fixant les lointains gris, elles allaient rapides ; les cornettes tremblaient et les rubans blancs flottaient derrière elles.
   Elles grimpaient sur les pentes abruptes, sur les masses élevées de rochers jetés au loin dans la mer par la main des cyclopes, vers la chapelle svelte, poussée entre les hauts blocs de granit étagés, et regardaient le désert de l’océan, écoutant le calme avec crainte.
   Puis elles s’assirent en rang au bord du précipice comme des oiseaux de deuil à têtes blanches ; elles tricotaient des bas, les aiguilles scintillaient entre leurs mains et parfois un murmure s’échappait de leurs lèvres pâlies. Assises immobiles, elles fixaient les flots silencieux, opaques, et leurs âmes glissaient sur les profondeurs de l’horizon, planaient au-dessus des sombres gouffres déserts, fouillaient les eaux livides, appelant de leurs voix muettes et douloureuses.
   Pas une voile n’émergeait des abîmes et le silence ne répondit par aucun clapotis de rames.

   Vers les cœurs en détresse s’avançait lourdement l’Inconnu.

                   Władisław Reymont :  Dans la brume



mardi 28 mai 2013

Je passais des heures à observer Lounja



   Au pied du mamelon, la rivière éventre le sol, les galets pareils à des entrailles fossilisées. Les femmes de naguère y venaient par essaims, laver leur linge. L’eau cascadait de la montagne et déambulait loin de dans la plaine. Les roseaux se coudoyaient fermes sur les bergers pour impressionner les lauriers-roses. Par endroits, le lit était profond. On y barbotait tout son soûl, dans une aquarelle de vociférations et d’éclaboussures étincelantes. Des fois, on faisait semblant de se noyer pour voir nos chiots geindre et tergiverser sur le talus avant de nous rejoindre dans d’héroïques plongeons. Je nageais rarement, moi. Je préférais me dissimuler dans les roseaux et je passais des heures à observer Lounja. Elle avait l’eau jusqu’aux genoux, les cheveux tel une coulée d’or sur le dos et, collée à sa peau, sa robe mouillée dévoilait ses seins naissants, beaux comme deux soleils frisés.

      Yasmina Khadra : L’automne des chimères

lundi 27 mai 2013

Le regard


                                Imed Abou Chtiya, peintre Palestinien            عماد ابوشتية

dimanche 26 mai 2013

Lumières sombres اضواء داكنة

Balade à travers les oeuvres de Mondher M'tibaa



Quatorze lanternes sombres… quatorze lanternes éclairées… par la lumière de la nuit de lune !
Lumières sombres mais éclairées par la nuit de lune ! Toute la beauté est là ! Que serait le noir sans la lumière qui lui redonne vie ? Et que serait la lumière sans le noir qui la renouvelle ? Un regard posé sur le monde  là où l’œil voit sans méditer et médite parfois en revoyant !

 Ce qui m’a impressionnée dans  les tableaux de Mondher M’tibaa c’est l’originalité du sujet ! Une touche photographique unique unissant le besoin de l’être de  couvrir son monde  de peur d’en dévoiler le mystère ! 

              
Symbole de féminité, l’orange, enveloppée dans une dentelle noire  associe l’utérus au mystère de la fécondité ! 


Les fleurs !



Quand les fleurs se mettent-elles à parler ?
Quand  les fleurs se taisent-elles ?
Enveloppée dans une tulle noire, la fleur devient symbole de vertu et de beauté !
Elle n’est plus une fleur  à  ou sans odeur, mais un bouquet  que l’on  offre à la bien aimée !


Regard perçant !  

Le photographe essaie de nier le regard perçant par des traits à la fois lumineux et sombres ! N’a-t-il pas voulu méditer sur les contradictions vues et vécues par l’œil qui veut tout dire mais en niant la réalité ! 



Coucher de soleil  ou cacher le soleil ?

Le Photographe a beau envelopper l’œil du soleil par un rideau en mousseline mais  il n’a fait que mettre en évidence la lumière orange de l’astre du jour… Cette lumière nocturne propice à une fuite dans le temps et dans l'espace... 
Dans la première prise à gauche, j'ai l'impression de voir une silhouette féminine, les cheveux élancés, la main en avant traversant une mer comme si elle cherchait une fuite vers l'autre...
La technique photographique est tellement trompeuse que les fils de fer ont pris l'aspect des ondes de l'eau !



              Lecture personnelle des oeuvres de Mondher M'tibaa par Majdouline Borchani 

mardi 21 mai 2013

Ne pas aimer, on ne le peut pas !



    Les corbeaux, toujours défiants, croassaient de temps à autre, perchés sur le sommet d’un bouleau dénudé ; le soleil levant jouait doucement dans ses maigres branches ; la sonnerie des cloches du monastère de Don arrivait par moments paisible et monotone, tandis que je restais assis à regarder, à écouter, et tout mon être se remplissait d’un sentiment inexprimable où tout se réunissait : et la tristesse, et la joie, et le pressentiment de l’avenir, et le désir, et la peur de la vie. Mais de tout cela, alors, je ne me rendais pas bien compte ; et je n’aurais rien pu définir de ce qui fermentait en moi ; ou bien, si à cet état de mon âme j’avais donné un nom, c’eût été celui de Zinaïda. […]
— Vous m’aimez beaucoup ? demanda-t-elle enfin. — Oui ?
Je ne répondis rien ; à quoi bon répondre, d’ailleurs ?
— Oui, répéta-t-elle en continuant à me regarder, — c’est cela ! les mêmes yeux !... ajouta-elle en restant rêveuse et en cachant son visage dans ses mains. — Tout me dégoûte, murmura-t-elle. Je fuirais au bout du monde... Il m’est impossible de vaincre, et je ne puis pas me maîtriser... Et qu’est-ce qui m’attend dans l’avenir ?... Ah ! que cela me pèse !... Combien cela me pèse. !...
— Quoi ? demandai-je timidement.
Zinaïda ne me répondit pas ; elle ne fit que hausser les épaules.
   Je continuai à rester à genoux et à la regarder avec une profonde tristesse. Chacune de ses paroles me frappait le cœur. En ce moment il me semblait que j’aurais donné ma vie pour lui ôter son chagrin. Je la regardais et, bien qu’il ne me fût pas possible de deviner ce qui lui pesait tant, je la voyais, très nettement maintenant, en esprit, arriver dans le coin du jardin où elle se trouvait et tomber là comme une plante fauchée.
Autour de nous tout était éblouissement et verdure. Le vent bruissait dans le feuillage, balançant de temps à autre la longue branche d’un arbrisseau au-dessus de la tête de Zinaïda. Des tourterelles roucoulaient, et des abeilles bourdonnaient en voltigeant très bas sur l’herbe rare. En haut, bleuissait le ciel caressant, et moi j’étais si triste...
— Récitez-moi quelques vers, dit à mi-voix Zinaïda, en s’appuyant sur son coude ; j’aime vous entendre réciter. Vous chantez un peu, mais cela ne fait rien, c’est jeune. Récitez-moi « Sur les collines de la Géorgie ». Mais asseyez-vous d’abord.
Je m’assis et je lui récitai « Sur les collines de la Géorgie ».
Ne pas aimer, on ne le peut pas,
   Zinaïda répéta, comme un écho, au dernier  — Voilà en quoi la poésie a du bon : elle vous dit ce qui n’existe pas et qui est non seulement mieux que ce qui existe, mais même qui ressemble plus à la vérité...
Ne pas aimer, on ne le peut pas !
On le voudrait, on ne le peut pas !

                Ivan Tourgueniev: Premier amour

vendredi 17 mai 2013

Je craignais de déranger, par un mouvement brusque, tout ce dont mon âme était remplie...



Je m’assis sur une chaise et longtemps je restai comme dans un enchantement. Ce que je ressentais était si nouveau et si doux !... J’étais sans mouvement ; à peine regardais-je autour de moi ; je respirais lentement, et seulement de temps à autres ; tantôt je riais aux souvenirs, tantôt j’éprouvais un froid intérieur à la pensée que j’aimais, et que cet amour tant attendu, voilà ce qu’il était... Le visage de Zinaïda flottait doucement devant moi dans l’obscurité. Il flottait et ne disparaissait pas. Ses lèvres avaient toujours leur sourire énigmatique ; ses yeux me regardaient un peu de côté, d’un air à la fois interrogateur, rêveur et tendre... comme au moment où je m’étais séparé d’elle.
Enfin, je me levai, je m’approchai de mon lit sur la pointe des pieds, et, doucement, sans me déshabiller, je posai ma tête sur l’oreiller, comme si je craignais de déranger, par un mouvement brusque, tout ce dont mon âme était remplie...   […]
Ma « passion » commença dès ce jour. Je me souviens d’avoir ressenti alors quelque chose de semblable à ce que doit éprouver un homme qui est nouvellement entré dans un emploi. Je cessais d’être tout simplement un petit garçon, j’étais un amoureux !
J’ai dit que, de ce jour, commença ma passion ; j’aurais pu ajouter que mes souffrances aussi commencèrent du même jour. Je languissais en l’absence de Zinaïda : rien n’occupait plus ma pensée ; tout tombait de mes mains ; toute la journée je ne songeais qu’à elle.
Je languissais... mais en sa présence, il me semblait que je respirais avec plus de plénitude. Puis, je devenais jaloux ; j’avais conscience de mon peu d’importance. Bêtement je boudais, bêtement j’étais servile ; et, quand même, une force irrésistible m’entraînait vers elle ; chaque fois que je franchissais le seuil de la chambre, c’était avec un tremblement involontaire de bonheur.
Zinaïda devina aussitôt que j’étais amoureux d’elle ; et d’ailleurs, je ne cherchais pas à le dissimuler. Elle se jouait de ma passion : me cajolait et me torturait. Il est doux d’être la source unique, une cause toute-puissante et irresponsable des plus grandes joies et des plus profonds chagrins d’un autre ; et moi, dans la main de Zinaïda, j’étais comme une cire molle.
          
                                            Ivan Tourgueniev : Premier amour

mercredi 15 mai 2013

Eventail épi d'orge



Georges Bastard est né dans une vieille famille de tabletiers. Son grand-père Bastard-Lannoy, spécialiste du travail du bois précieux, de l'ivoire et autres matériaux utilisés pour fabriquer des objets tels que damiers ou échiquiers, remporte un vif succès à l'Exposition universelle de Paris en 1867 pour une monture d'éventail, Diane au bain. Formé à l'Ecole des Arts décoratifs de Paris, Georges Bastard participe très régulièrement au Salon de la Société des Artistes français à partir de 1902 et se signale par ses envois d'objets travaillés dans les matières les plus délicates, comme la nacre, l'écaille et l'ivoire. Sa production est riche de boîtes, coupe-papier, bonbonnières, coupes et bijoux, et laisse une place importante aux éventails. Ainsi de l'éventail Epis d'orge exposé au Salon de la Société des Artistes français en 1911.


Avec un raffinement extrême, les épis finement sculptés et gravés forment les différents volets de l'éventail sur lequel la corne et la nacre incrustée ne laissent plus aucune place au tissu. La lumière leur donne une blondeur chaleureuse et la matière des effets de brillance étonnants.

Salué par la critique, cet éventail est acheté par l'Etat en 1912 pour le musée du Luxembourg. Si sa période Art nouveau est remarquable, Bastard n'en sera pas moins dans les années 1920 et 1930 une figure majeure de l'Art Déco et de l'Union des Artistes Modernes.


                   
                 Informations recueillies in   http: //www.musee-orsay.fr