lundi 28 octobre 2013

Cette aimable représentation que donne, en plein Paris, la belle nature


   Le long des larges allées, qui déploient à travers les pelouses et les massifs leur courbe savante, une foule de femmes et d’hommes, assis sur des chaises de fer, regardent défiler les passants tandis que, par les petits chemins enfoncés sous les ombrages et serpentant comme des ruisseaux, un peuple d’enfants grouille dans le sable, court, saute à la corde sous l’œil indolent des nourrices ou sous le regard inquiet des mères. Les arbres énormes, arrondis en dôme comme des monuments de feuilles, les marronniers géants dont la lourde verdure est éclaboussée de grappes rouges ou blanches, les sycomores distingués, les platanes décoratifs avec leur tronc savamment tourmenté, ornent en des perspectives séduisantes les grands gazons onduleux.
  Il fait chaud, les tourterelles roucoulent dans les feuillages et voisinent de cime en cime, tandis que les moineaux se baignent dans l’arc-en-ciel dont le soleil enlumine la poussière d’eau des arrosages égrenée sur l’herbe fine. Sur leurs socles, les statues blanches semblent heureuses dans cette fraîcheur verte. Un jeune garçon de marbre retire de son pied une épine introuvable, comme s’il s’était piqué tout à l’heure en courant après la Diane qui fuit là-bas vers le petit lac emprisonné dans les bosquets où s’abrite la ruine d’un temple.
 D’autres statues s’embrassent, amoureuses et froides, au bord des massifs, ou bien rêvent, un genou dans la main. Une cascade écume et roule sur de jolis rochers. Un arbre, tronqué comme une colonne, porte un lierre ; un tombeau porte une inscription. Les fûts de pierre dressés sur les gazons ne rappellent guère plus l’Acropole que cet élégant petit parc ne rappelle les forêts sauvages.
  C’est l’endroit artificiel et charmant où les gens de ville vont contempler des fleurs élevées en des serres, et admirer, comme on admire au théâtre le spectacle de la vie, cette aimable représentation que donne, en plein Paris, la belle nature.

          Guy de Maupassant, Fort comme la mort (1889)



vendredi 25 octobre 2013

Galant de Nuit



   J'aimais bien Clairefontaine, du bout des souvenirs. Non pas celle du football où les "Champions du Monde" aiment à se ressourcer, non ! Ma Clairefontaine à moi, jouxtait Aïn-El-Turck, là où sont mes racines. Elle a, dans mon enfance, souvent troublé mes sens.
Sa plage nous accueillait, sur fond de sable blond. Ses journées de soleil berçaient nos corps d'enfants rafraîchis des embruns et, ses rouleaux de vagues égayaient les baigneurs ivres de jeux et de joie. Ses longues soirées de bal à l’abri des palmiers, nous menaient jusqu'à l'aube, dans les rêves magiques de notre adolescence. Ses allées de villas paradaient au soleil et les filles, à leur tour, dénudées par l'été, souriaient au ciel bleu. Face à l'immensité de lapis-lazuli que barrait l'horizon, tout au fond d'une allée encadrée de palmiers, majestueusement, notre Château Navarre imposait sa présence, et pourtant, de sa vie nous en ignorions tout !
   J’aimais bien Clairefontaine des chaudes soirées d’été. Nous marchions en famille, parcourant ses allées, suivis du clapotis des vagues venant de France. Au mélodieux murmure des feuilles excitées par la brise se mêlaient hardiment les enivrants effluves d’un millier de jardins. L'air embaumait la rose, la glycine et l'œillet, venu d’Inde ou d’ailleurs, le noble bégonia, la blanche marguerite ou l’audacieux kana, mais les dominant tous, une senteur tenace, un imbibant parfum nous imprégnait les sens.
   Moi, j’aimais Clairefontaine, comme on aime d’amour lorsque nous vient l'été, une fille aux yeux verts, la peau couleur cannelle et les cheveux soleil. De tous les souvenirs issus de mon passé, s'exhalant dans la nuit, capiteux, voletant, ce parfum m’est resté. Olfactif repaire, ancré en ma mémoire jusqu'au bout de mes ans. Il me poursuit depuis sans cesser un seul jour.
Par ignorance sans doute, par respect ou amour pour ce lieu, par tendresse ou par fascination, allez savoir pourquoi, nous dénommions ces mystérieux effluves, "Galant de nuit". Oui, beau Galant de nuit ! Et qu’importe s’il était "Oranger du Mexique", "Chèvrefeuille grimpant", "Jasmin" des contes merveilleux de la belle Shéhérazade ou bien haie parsemée de bouquets de fleurs blanches, distillant en nocturne à tous les promeneurs, telle une huile essentielle, son parfum de l’été.
   Seul le "Galant de nuit" chargé de poésie pouvait par sa présence forcer l’imaginaire. Tout au fond du jardin, venu en clandestin, sous de sombres habits, invisible, l'amant, tout près de la Rotonde, attendait sa "Galante". Les étoiles scintillaient en millions de milliers de coups d’œil complices et la lune pudique se servait d’un nuage pour se voiler la face. Seule, dans l'immensité de la nuit, la claire voie lactée déployait ce chemin d'absolue liberté que prennent en s'envolant les rêves d’amoureux.
Une senteur soudaine, enivrante, excitante, emplissait le jardin, précédant dans l'allée les petits pas furtifs et le doux bruissement des dentelles légères de l'exquise maîtresse, ardemment désirée. Puis en tendres volutes, la douceur du parfum enveloppait alors les amants enlacés pour une éternité, l'espace d'une nuit de passion et d'amour.
  Tendre "Galant de Nuit", tu vis toujours en moi, en doucereux mystère caressant l'odorat et affolant mes sens !
  Charmant "Galant de Nuit" d'une époque mythique, tu restes même aujourd'hui, ce magique déclic mêlant aux vagues des pensées déferlantes, des fleurs et des parfums, des sons et des couleurs et, tant de souvenirs de notre adolescence !
   Tenace "Galant de Nuit" de nos songes d'antan, des lieux de nos jeunesses et du passé présent, tu engendres malgré toi, de trop souventes fois, cette mélancolie, cette "Nostalgérie", qui nous mène à souffrir de vivre loin de toi et depuis trop longtemps !

              René Aniorté




lundi 21 octobre 2013

Peines silencieuses... Solitude accompagnée…


La mer...
La mer, par ses doux mouvements, m’appelle à l’écouter…
La mer, par le calme de ses vagues, m’invite...!
Puis-je lui parler ? Je ne sais…
A qui me confier ? A cet horizon lointain et indifférent
Ou bien à cette nuance bleue dégradée ?
Dans ce voyage vers l’infini, j’ai cherché des vérités…
J’ai écouté des promesses qui n’étaient que paroles !
Paroles... pour calmer, pour fermer mais jamais pour engager…
S’engager! Mais pour qui et pour quelle raison ?
L’engagement n’est qu’une chimère !
Le sable, sur lequel je m’étais assise, a senti mes douleurs
Mes peines silencieuses et ma solitude accompagnée…
Je me suis trouvée seule dans ma sagesse
Et sage dans ma solitude...
Seule et accompagnée de l’enfant que je protège,
J’ai senti la douceur de sa main sur ma peau…
Une main angélique et protectrice.

Les vagues bleues se sont calmées
Et l’horizon lointain nous a appelées …

                    Majdouline Borchani



dimanche 6 octobre 2013

Pétales dansantes



Pétales dansantes

   Sous le rythme d'une brise matinale.

      Douces au toucher,

         De leur couleur vive.

            Souriantes dans leurs mouvements.

               Attirantes par leur nectar.

                  Séduisantes  dans leur vert satiné !

            Majdouline Borchani









jeudi 3 octobre 2013

Paris... et le souvenir... diffère d'une personne à l'autre ...



« C’était une belle soirée, et j’avais travaillé dur toute la journée et quitté l’appartement au-dessus de la scierie et traversé la cour encombrée de piles de bois, fermé la porte, traversé la rue et j’étais entré, par la porte de derrière, dans la boulangerie qui donne sur le boulevard Montparnasse et j’avais traversé la bonne odeur des fours à pain puis la boutique et j’étais sorti par l’autre issue. Les lumières étaient allumées dans la boulangerie et, dehors, c’était la fin du jour et je marchais dans le soir tombant, vers le carrefour, et m’arrêtai à la terrasse d’un restaurant appelé le Nègre de Toulouse où nos serviettes de table, à carreaux rouges et à blancs, étaient glissées dans des ronds de serviette en bois et suspendus dans un râtelier spécial en attendant que nous venions dîner. Je lus le menu polycopié à l’encre violette et vis que le plat du jour était du cassoulet. Le mot me fit venir l’eau à la bouche. […]
Je poursuivis mon chemin, léchant les vitrines, et heureux, dans cette soirée printanière, parmi les passants. Dans les trois principaux cafés, je remarquai des gens que je connaissais de vue et d’autres à qui j’avais déjà parlé. Mais il y avait toujours des gens qui me semblaient encore plus attrayants et que je ne connaissais pas et qui, sous les lampadaires soudain allumés, se pressaient vers le lieu où ils boiraient ensemble, dîneraient ensemble et feraient l’amour. » […] 
« Ce fut la fin de notre première période parisienne. Paris ne fut plus jamais le même. C’était pourtant toujours Paris, et s’il changeait vous changiez en même temps que lui. […] Il n’y a jamais de fin à Paris et le souvenir qu’en gardent tous ceux qui y ont vécu diffère d’une personne à l’autre. Nous y sommes toujours revenus, et peu importait qui nous étions, chaque fois, ou comment il avait changé, ou avec quelles difficultés – ou quelles commodités – nous pouvions nous y rendre. Paris valait toujours la peine, et vous receviez toujours quelque chose en retour de ce que vous lui donniez. »

                    ERNEST HEMINGWAY: PARIS EST UNE FÊTE