mardi 28 octobre 2014

Vous commencerez à écrire un livre, pour combler le vide...


     Vous allez arriver dans quelques instants à cette gare transparente à laquelle il est si beau d’arriver à l’aube comme le permet ce train dans d’autres saisons.
   Il fera encore nuit noire et au travers des immenses vitres vous apercevez les lumières des réverbères et les étincelles bleues des trams.
  Vous ne descendez pas à l’Albergo Quirinale, mais vous irez jusqu'au bar où vous demanderez un caffè latte, lisant le journal que vous viendrez d’acheter tandis que la lumière apparaitra, augmentera, s’enrichira, s’échauffera peu à peu.
   Vous aurez votre valise à la main lorsque vous quitterez la gare à l’aurore (le ciel est parfaitement pur, la lune a disparu, il va faire une nouvelle journée d’automne), la ville paraissait dans toute sa rougeur profonde, et comme vous ne pourrez vous rendre ni via Monte delle Farina, ni à l’Albergo Quirinale, vous arrêterez un taxi et vous lui demanderez de vous menez à l’hôtel Croce di Malta, via Borgognone, près de la place d’Espagne.
  Vous n’irez point l’attendre à la sortie du palais Farnèse ; vous déjeunerez seul ; tout au long de ces quelques jours, vous prendrez tous vos repas seul.
   Evitant de passer dans un quartier, vous vous promènerez tout seul et le soir vous rentrez seul dans votre hôtel où vous vous endormirez seul.
   Alors dans cette chambre, seul, vous commencerez à écrire un livre, pour combler le vide de ces jours à Rome sans Cécile, dans l’interdiction de l’approcher.
   Puis lundi soir, à l’heure même que vous aviez prévue, pour le train même que vous aviez prévu, vous retournerez vers la gare,
    Sans l’avoir vue.

                                                                
                                           Michel Butor, La Modification  

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