lundi 24 août 2015

Elle acquis l’une des premières places dans l’orchestre du haremlik, car elle jouait fort bien de la harpe



   De toutes les esclaves qui ornent le palais de Hatidjé sultane, la plus ravissante est sans nul doute Gulfilis, fine et élancée, la poitrine haute, elle est avec ses cheveux couleur de blé mûr et ses grands yeux pervenche, le type même de la beauté circassienne.
   Orpheline à l’âge de huit ans, elle avait été achetée par un marchand qui comptait la revanche très cher à la cour : en quelques années, estimait-il, elle deviendrait l’un des joyaux du harem. […]
Elle était trop jolie pour que l’on songe à lui apprendre le ménage ou à gâter ses yeux en lui faisant étudier le calcul. La grande maîtresse des kalfas décida qu’on lui enseignerait la musique et le chant, ainsi que l’art des fleurs. Peu à peu, elle devint experte à composer des bouquets qui égayaient tous le palais, et elle acquis l’une des premières places dans l’orchestre du haremlik, car elle jouait fort bien de la harpe. A dix sept ans elle était encore plus belle que ne l’avait prévu le vieux marchand.
   La sultane, dont elle était la préférée, la regardait souvent, songeuse : si elle entrait au service de sa Majesté elle pourrait certes devenir  l’une de ses favorites, et qui sait, un jour une épouse ? Mais elle pourrait aussi y consumer sa jeunesse sans jamais être élue… Car le sultan était déjà âgé et, en ces temps difficiles, plus préoccupé de politique que de femmes. Mais rester ici, dans cet univers exclusivement féminin, était une insulte à la nature. Une créature aussi superbe, aussi évidemment faite pour l’amour, se devait de porter des fruits. Il fallait lui trouver un mari.


            Kenizé Mourad, De la part de la princesse morte ( p 76,77)

2 commentaires:

  1. J'ai lu ce livre il y a bien longtemps...j'avais beaucoup aimé...
    "Elle s'est jetée dans l'herbe, avidement elle en respire l'odeur humide, la tête lui tourne ; dans ses jambes, dans son ventre montent les vibrations chaudes de la terre, elle a l'impression de s'y fondre. Elle n'est plus Selma, elle est bien davantage, elle est ce brin d'herbe, et ces feuilles, et cette branche qui s'étire pour atteindre un nuage, elle est cet arbre qui plonge ses racines jusque dans l'antre obscur et mystérieux de sa naissance, elle est le bruissement de la source et son eau transparente qui fuit et toujours reste là ; elle est la caresse du soleil et le tournoiement du vent, elle n'est plus Selma, elle est, tout simplement. "

    RépondreSupprimer
  2. Très beau passage ! J'admire la description de Kenizé Mourad !

    RépondreSupprimer