jeudi 15 octobre 2015

Elle veut être seule avec cette nature qui la rend à elle-même


   Ils ont dépassé Bhamdoun ; devant eux se dresse la chaîne du Liban, légèrement bleutée de brume et, se détachant dans un rayon de soleil, la cime neigeuse du Sannine.
   Selma a sauté de la voiture, elle court dans le sentier au milieu des herbes hautes et des buissons des genêts, la tête, renversée vers le ciel, les bras ouverts comme pour embrasser toute cette splendeur, l’absorber, la faire sienne, elle court, elle ne veut plus s’arrêter. Elle entend dans le lointain Orhan qui l’appelle, mais elle ne se retournera pas, elle veut être seule avec cette nature qui la rend à elle-même, lui est plus familière que l’amie la plus chère, cette nature à laquelle elle s’abandonne sans crainte d’être abandonnée, et que par tous ses pores elle sent entrer en elle, lui redonner force, intensité.
   Elle s’est jetée dans l’herbe, avidement elle en respire l’odeur humide, la tête lui tourne ; dans ses jambes, dans son ventre montent les vibrations chaudes de la terre, elle a l’impression de s’y fondre. Elle n’est plus Selma, elle est bien davantage, elle est ce brin d’herbe, et ces feuilles, et cette branche qui s’étire pour atteindre un nuage, elle est cet arbre qui plonge ses racines jusque dans l’antre obscur et mystérieux de sa naissance, elle est le bruissement de la source et son eau transparente qui fuit et toujours reste là ; elle est la caresse du soleil et le tournoiement du vent, elle n’est plus Selma, elle est, tout simplement.


            Kenizé Mourad, De la part de la princesse morte (p211,212) 



2 commentaires:

  1. J'aime beaucoup ce passage...car devant un joli paysage j'aime vivre ces mots-là!

    "Elle n’est plus Selma, elle est bien davantage, elle est ce brin d’herbe, et ces feuilles, et cette branche qui s’étire pour atteindre un nuage, elle est cet arbre qui plonge ses racines jusque dans l’antre obscur et mystérieux de sa naissance, elle est le bruissement de la source et son eau transparente qui fuit et toujours reste là ; elle est la caresse du soleil et le tournoiement du vent, elle n’est plus Selma, elle est, tout simplement."

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  2. En effet, le passage est tellement beau qu'on a envie d'être à la place de Selma et sentir ce qu'elle a senti...

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