mardi 2 juin 2015

Dans la ville d’or et d’argent (Extrait 1 du chapitre 8)


   
   Sur les ordres du nouveau haut- commissaire, les plus beaux palais de Lucknow sont progressivement saisis par les Britanniques. Et tous les prétextes sont bons. En ce début de septembre 1856 la rumeur selon laquelle Qadir Ali Shah, un maulvi, commandant une troupe de douze mille fidèles, préparait un soulèvement et qu’une partie de la famille royale serait impliquée, va déclencher une série de confiscations.  […]
   «  Mesdames ! Une lettre de sa Majesté. »
   Une lettre de Djan-e- Alam ! Les femmes se sont figées. Enfin ! Depuis huit mois qu’il est parti, elles n’ont pas reçu le moindre message, elles ont juste appris par la rumeur qu’après six semaines de voyage, il avait atteint Calcutta où il s’était arrêté quelques temps pour ce reposer des fatigues de la route et préparer son départ pour la lointaine Angleterre.
   Avec un mélange d’appréhension de d’espoir, elles regardent l’étui qui protège le précieux parchemin. Annonce-t-il le succès de sa mission ?
   La première, Hazrat Mahal reprend ses esprits. 
   « Le messager vient-il directement d’Angleterre ? »
-          Non, Houzour. Il arrive de Calcutta. »
-             De Calcutta !  Les femmes se récrient : pourquoi un tel détour ? […] Vite, brisons le seau et voyons ce que nous dit notre roi bien- aimé.
   C’est à une cousine du roi, la bégum Shahnaz, la plus âgée d’entre elles, que revient l’honneur de lire à haute voix l’auguste message.

   «  A mes épouses et parentes respectées et si chères à mon cœur.
   Depuis le jour fatidique où je vous ai quittées et où j’ai dû abandonner ma ville adorée, pas un jour ne se passe sans que les larmes ne m’étreignent à la pensée de tout ce que j’ai perdu. Le voyage fut très dur, je suis tombé malade et nous avons été contraints de faire une longue halte à Bénarès où le maharajah m’a accueilli come un frère. Maintenant que je suis à Calcutta je vais mieux malgré l’humidité détestable. Mais en arrivant, j’étais si épuisé que je ne me suis pas senti capable d’affronter la longue traversée des mers. J’ai donc décidé d’envoyer à ma place la Rajmata afin qu’elle plaide ma cause auprès de la reine Victoria. Vous connaissiez toute l’intelligence et la ténacité de la reine ma mère, je suis convaincu que je pourrais avoir de meilleur ambassadeur. Mon frère et mon fils aîné l’accompagnent, ainsi que quelques-uns de mes ministres et surtout la major Bird, un soutien inestimable qui pourra témoigner de se qui s’est réellement  passé. En tout cent quarante personnes ont embarqué le 18 juin et sont arrivées sans encombre à Southampton le 20 août. […] Pour passer le temps, j’ai entrepris de monter un nouveau spectacle mais mes fées me manquent, celles de Calcutta ne peuvent se comparer aux beautés de Lucknow !
 Et vous, mes chères épouses, me manquez plus que tout.
J’espère que bientôt un sort plus favorable nous réunira.
En pleurant d’être séparé de vous, je baise vos belles mains. »

  Un sourire amer aux lèvres, Hazrat Mahal songe à ce roi qu’elle a si longtemps admiré.
    
… Il ne parle que de lui, de ses regrets, de sa tristesse, pas un mot pour s’inquiéter de notre sort, à nous qui depuis son départ sommes seules face à l’arbitraire de l’occupant !...et pas même une allusion aux messages que je lui envoie. Les reçoit-il ? […]

  Ses compagnes, quant à elles, ne se tiennent pas de joie.
   «  Cette lettre est un signe du ciel, commente la bégum Shahnaz, elle nous indique la voie : nous allons écrire au roi pour lui décrire notre situation et le prier de rappeler au gouverneur général ses promesses.
   Soulagées, les femmes approuvent. Si Djan-e-Alam intervient, elles sont sauvées ! Hazrat Mahal ne partage pas leur confiance mais elle se garde d’émettre  le moindre commentaire.
  
                 Kenizé Mourad, Dans la ville d’or et d’argent (p100, 101, 102, 103, 104, 105)

                                                                                                                                           (A suivre...)


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