lundi 20 juillet 2015

Dans la ville d’or et d’argent ( extrait 1 du chapitre 23 )



   Sur la grand - place de Kaisarbagh, entre les palais royaux et le marché aux épices, douze gibets sont dressés. A quelques mètres, sur une tribune surmontée d’un dais cramoisi, de confortables sièges attendent les dignitaires et la Rajmata, dont on chuchotte que, bravant la tradition, elle a décidé d’assister personnellement à l’exécution des traîtres. De chaque côté de la tribune un régiment de cipayes se tient au garde-à-vous.
   Soudain résonnent les longues trompes de cuivre, la cour fait son apparition. Sont présents tous les ministres vêtus de chogas de soie et coiffés de topis brodés, et les chefs de l’armée arborent fièrement les médailles gagnées sur les champs de bataille britannique, enfin la régente, enveloppée de voiles sombres mais le visage à demi découvert, impassible.
[…]
   Arrêtés la veille et jugés sur-le-champ, ils ont été condamnés pour haute trahison. Les uns, les uns des commerçants, fournissaient les assiégés en victuailles ; les autres travaillent à la nouvelle fabrique de munitions, bourraient les balles de paille, de son et de poussière à la  place de poudre et de plomb. Interrogés, ils ont vite avoué : leur intention n’était pas d’aider les Angrez mais seulement… de se faire un peu d’argent.
   A présent, tremblants de tous leurs membres, ils implorent à genoux la souveraine, cette jeune femme au regard profond qui tient leur sort entre ses mains.
   « Pitié, Houzour ! sanglotent-ils, nous ne sommes pas des traîtres, juste des hommes ordinaires qui nous sommes laissés tenter. Ce n’était pas pour nous, c’était pour nos enfants. Vous êtes une mère, vous pouvez nous comprendre ? Nous vous en supplions, laissez-nous vivre ! Nous serons vos serviteurs les plus dévoués, vous pourrez nous demander n’importe quoi, mais accordez-nous votre grâce ! Ne plongez pas nos familles dans la misère et le désespoir, laissez leurs pères à des innocents ! »
   Le spectacle de ces hommes en pleurs est difficilement supportable, même pour un militaire endurci.
Inquiet Jai Lal jette un coup d’œil à la régente, son visage est livide. Elle lève la main – les condamnés se sont tus, chacun retient son souffle-, puis lentement elle la laisse tomber.
   Les acclamations de la foule couvrent les cris des suppliciés : justice est rendue ! Si certains en doutaient encore, désormais le peuple tout entier sait qu’il est gouverné par une véritable souveraine.

             Kenizé Mourad, Dans la ville d’or et d’argent (p 294, 295,296 )


                                                                                                                      ( A suivre...)



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