vendredi 24 juillet 2015

Dans la ville d’or et d’argent ( extrait 1 du chapitre 25 )




   Peu à peu la révolte s’étend à tout le nord-est des Indes, et une grande partie du centre, cœur de la région mahratte, menace de  se soulever.
   A Calcutta, en ce mois d’août 1857, le Gouverneur général n’arrive plus à communiquer avec ses officiers ; les lignes téléphoniques ont été sabotées et rébellion dans la province du Bihar rend quasi impossible la circulation des courriers. […]
   Le 14 août, une armée de trois mille hommes, menée par le général Nicholson, est arrivée devant Delhi dont elle a renforcé la siège, dans l’attente de troupes supplémentaires. Le gouverneur des Indes a ordonné de concentrer le maximum de forces pour reprendre l’ancienne capitale. […]
    «  Pour chaque église détruite on devrait détruire cinquante mosquées. Pour chaque chrétien mis à mort on devrait massacrer mille rebelles », déclare The Times
   A Lucknow on a accueilli la nouvelle du siège de Delhi sans aucune inquiétude. La ville est imprenable : entourée de douves de six mètres de profondeur et de quatre mètres de large, elle est défendue par des dizaines de milliers de cipayes. Ce qu’on ignore c’est qu’elle souffre d’une grande pénurie de vivres et de munitions et que les soldats affamés sont de plus en plus nombreux à déserter. […]
   Prévenu par ses espions, le rajah Jai Lal a informé la régente qu’à la tête de troupes importantes et bien équipées, Outram projette de faire la jonction avec le général Havelock à Kanpour afin de lancer une attaque conjointe à Lucknow.
   […]
   Les combats vont durer trois jours.
   Au plus fort des combats, une femme apparait sur la champ de bataille. Montée sur un éléphant, du haut de son hawdah elle encourage les combattants qui l’acclament : c’est la régente. Pour stimuler ses soldats dans cet affrontement où pour la première fois Luknow est menacée, elle a décidé de prendre part directement aux combats. Mais elle y est poussée également par un besoin de revanche contre cet Outram qui a tant humilié la famille royale.
   Surpris par les clameurs, le rajah Jai Lal s’est rapproché : reconnaissant la jeune femme, il reste un instant figé, partagé entre admiration et colère. La colère l’emportant, il éperonne son cheval et, arrivé à sa hauteur, il l’apostrophe rudement :
   « Que faites-vous là ? Avez-vous perdu l’esprit ? Cette guerre n’est pas un jeu, vous vous devez à l’Etat et au roi votre fils, vous n’avez pas le droit de vous faire tuer ! »
   De fureur les yeux verts sont devenus presque noirs.
   « Comment osez-vous me donner des ordres ? Je fais ce que j’estime nécessaire : les soldats ont besoin des encouragements de leu reine. »
   Et elle lui tourne le dos.
   Pendant plusieurs heures elle va rester auprès d’eux, exorbitant les cipayes qui, subjugués par l’intrépidité de cette fragile jeune femme, vont se battre avec une vaillance déculpée.
   Lorsqu’enfin elle rentre au palais, encore exaltée par le feu de la bataille, un messager l’attend, les vêtements poussiéreux et l’air épuisé. Il arrive de Delhi : après une semaine de combats farouches, la ville impériale est tombée.
    […]
   Restée seule, la régente s’est fait apporter son hookah ; elle aspire profondément, le bruissement de l’eau dans le flacon de cristal et les volutes de fumée odorante la calment peu à peu. Sourcils foncés, elle réfléchit : après la chute de  Kanpour et maintenant de Delhi, les Britanniques vont concentrer toutes leur force sur Lucknow. Il faut mettre au point un nouveau plan d’action. Elle doit en parler à Jai Lal.
   … Jai Lal… Il doit être furieux, elle l’a insulté en public ! Mais aussi quel besoin a-t-il de vouloir contrôler ses faits et gestes ? Elle est la régente, c’est elle qui décide ! Cependant… il semblait bouleversé.
   … Avait-il vraiment peur pour moi ? Pour moi ou pour la reine qui, comme il l’a souligné, se doit à l’Etat et à son fils ? Ne suis-je que cela pour lui… la reine ?...
   Elle se souvient de son émotion lorsque Mumtaz lui avait appris que le rajah était amoureux d’une belle inaccessible…
   … J’avais  alors cru…sans doute m’étais-je fait des illusions.
   En dépit de son amabilité, Jai Lal garde désormais ses distances. Qu’à cela ne tienne, elle aussi les gardera, elle ne va quand même pas mendier son amitié.


Kenizé Mourad, Dans la ville d’or et d’argent ( p323, 324, 325, 326, 327, 328, 329, 330 )

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